Après plusieurs mois de débat, la Convention citoyenne sur la fin de vie s’est prononcée majoritairement en faveur de l’ouverture d’une « aide active à mourir » sous conditions, avec notamment une clause de conscience pour les soignants. Dans leur rapport adopté le 2 avril, les 184 Français tirés au sort ont présenté leurs recommandations sur l'amélioration du cadre de la fin de vie en France et se sont inquiétés de la « situation alarmante » du système de santé.
Les participants ont été reçus ce 3 avril à l’Élysée où Emmanuel Macron a annoncé un projet de loi sur la fin de vie « d’ici la fin de l’été » afin de mettre en place un « modèle français de la fin de vie ». Le président a également annoncé des « investissements qui s'imposent » pour nourrir un « plan décennal » sur les soins palliatifs, dénoncés comme insuffisants par la Convention.
Cette dernière devait répondre à deux questions : « Le cadre actuel de la fin de vie est-il adapté à toutes les situations ? Et faut-il l'améliorer ? » Les trois quarts des participants, qui débattent depuis décembre, se sont montrés favorables à l'ouverture de l'euthanasie et du suicide assisté avec « de nombreuses nuances » (favorables à 76 %, contre 23 % de participants défavorables). Trois raisons justifient cette position : respecter le choix de chacun, combler les insuffisances du cadre d’accompagnement actuel et mettre fin aux situations ambiguës constatées.
Un rapport pour un « nuancier » de positions
Plusieurs garde-fous sont énoncés. Le patient devra au préalable avoir bénéficié d'un accompagnement. La Convention juge en effet « indispensable » la mise en place effective d'un « accompagnement médical et psychologique complet ». Le patient devra également pouvoir à tout moment exprimer sa volonté. « Le discernement de la personne est une condition essentielle », insiste le rapport. Aucune position majoritaire n’est ainsi ressortie sur le cas des patients qui ne sont plus en mesure d’énoncer leur choix. De même, pour les mineurs,« les avis demeurent très partagés », est-il relevé, le président a ainsi écarté la possibilité. Et surtout, la Convention propose la mise en place d’une clause de conscience pour les soignants, leur permettant de refuser d'accomplir un acte d'euthanasie ou d’assistance au suicide.
En parallèle, le rapport insiste sur la nécessité d’améliorer le cadre actuel pour les soins palliatifs : augmenter les budgets publics alloués, inclure une formation pour tout étudiant en médecine et garantir leur accès sur tout le territoire français, alors que de nombreux départements sont dépourvus d’une unité dédiée. Les citoyens tirés au sort ont également mis l’accent sur la possibilité inconditionnelle de choisir son lieu de décès, appelant ainsi à développer les unités de soins palliatifs à domicile. La nécessité de mieux informer les Français sur la rédaction de leurs directives anticipées est par ailleurs rappelée.
Mais, derrière une position majoritaire en faveur d’une aide active à mourir combinant suicide assisté et euthanasie, le rapport de la Convention détaille la « diversité de ses opinions de manière à nourrir le débat public plutôt que de le clore ». Un « nuancier » résume l’ensemble des positions, allant de la « seule et entière application du cadre d’accompagnement actuel » jusqu’à « l'accès universel au suicide assisté et à l’euthanasie ». Ces différentes opinions « dressent le champ des possibles de ce que pourrait être le modèle français de l'aide active à mourir », écrivent les participants, invitant, dans leur « manifeste » commun, chacun à se saisir de ce « nuancier (…) pour en cerner toute la complexité ».
L’Ordre réclame une « clause de conscience spécifique »
Deux jours avant l’adoption du rapport de la Convention, le 31 mars, l’Ordre national des médecins a présenté, lors de son Assemblée générale, les résultats de sa consultation sur la fin de vie, menée pendant neuf mois par ses conseils départementaux et régionaux. En préambule, l’Ordre se dit « défavorable à toute possibilité de mettre en place une procédure d'aide active à mourir pour les mineurs et les personnes hors d'état de manifester leur volonté ».
Sa position est ensuite déclinée selon les modalités potentielles d’une évolution du cadre actuel sur la fin de vie. En cas de légalisation de l'aide active à mourir (euthanasie et/ou suicide assisté), il est « défavorable à la participation d'un médecin à un processus qui mènerait à une euthanasie, le médecin ne pouvant provoquer délibérément la mort par l'administration d'un produit létal ». Si une légalisation du suicide assisté était adoptée, il réclame une « clause de conscience spécifique » qui « pourrait être mise en exergue à tout moment de la procédure », sans pour autant empêcher le médecin faisant valoir cette clause de continuer à suivre son patient.
L’Ordre insiste par ailleurs sur la nécessaire nature collégiale de toute décision et toute responsabilité. Le médecin traitant ou référent « devrait être systématiquement membre » de ce collège s'il n'a pas fait valoir sa clause de conscience, est-il précisé. L’Ordre insiste pour que « la loi (protège) le médecin qui participerait à la procédure d'aide active à mourir ». L’instance estime enfin « impératif » de permettre une « meilleure application de la loi Claeys-Leonetti » et se dit prête à contribuer « au développement des soins palliatifs et d'accompagnement ».
Une subversion de la notion même de soin
De son côté, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) salue, dans un communiqué commun à plusieurs organisations de soignants, le « travail approfondi réalisé [par la Convention, NDLR] pour intégrer la complexité du sujet » ainsi que les propositions en faveur du développement de l’offre de soins. « Après un travail rigoureux, la Convention citoyenne et la mission d’évaluation parlementaire aboutissent à la même conclusion : si le cadre légal d’accompagnement des personnes en fin de vie semble répondre à l’immense majorité des situations, sa mise en œuvre n’est pas satisfaisante, principalement en raison des carences humaines, matérielles et organisationnelles », est-il indiqué.
Les signataires, qui revendiquent représenter 800 000 soignants, « soit deux tiers des effectifs nationaux », rappellent que « la légalisation d’une forme de mort médicalement administrée reviendrait à subvertir la notion même de soin telle qu’elle est communément admise aujourd’hui ». Et d’alerter, en s’appuyant sur les « nombreuses difficultés constatées dans les pays étrangers » : « une telle évolution pourrait s’avérer être un signal très négatif donné aux personnes les plus vulnérables de notre société et à leur entourage », pas « suffisamment pris en compte dans les réflexions ».
Assurer « un accès effectif aux soins d'accompagnement à la fin de vie »
Cet appel semble avoir été entendu. En recevant les participants de la Convention citoyenne, Emmanuel Macron a annoncé des « investissements qui s'imposent » pour nourrir un « plan décennal » sur les soins palliatifs. L’État a « une obligation de résultat » pour assurer « un accès effectif aux soins d'accompagnement à la fin de vie », a-t-il déclaré. C'était « une priorité absolue », s’est réjouie auprès de l'AFP la Dr Claire Fourcade, présidente de la Sfap. « Il y a une volonté politique, on va maintenant être extrêmement vigilants pour voir comment cette volonté est appliquée », poursuit-elle.
Le président a également déclaré attendre du gouvernement et des parlementaires un projet de loi sur la fin de vie « d’ici la fin de l’été » dans une démarche « transpartisane ». Ils auront la charge de mettre en place d’un « modèle français de la fin de vie », avec des limites : sur la nécessité de « garantir l'expression de la volonté libre et éclairée », sur celle de la « réitération du choix » ou encore sur « l'incurabilité de souffrances réfractaires, psychiques et physiques, voire l'engagement du pronostic vital ».
« Vous insistez à raison pour que jamais une aide active à mourir ne devrait être réalisée pour un motif social, pour répondre à l'isolement qui parfois peut culpabiliser un malade qui se sait condamné à terme », a indiqué Emmanuel Macron, fermant également la porte à toute aide à mourir pour les mineurs. « Ces quelques lignes rouges me paraissent utilement encadrer l'hypothèse d'un modèle français de la fin de vie et constituent notre point de départ », a-t-il déclaré.
Saluant le travail des participants à la Convention citoyenne, « une décantation démocratique », le président a dit souhaiter une « mise en œuvre de co-construction, sur la base de cette référence solide qui est celle de la Convention citoyenne et en lien avec toutes les parties prenantes ». Il a également envisagé l’organisation de nouvelles Conventions citoyennes sur « d'autres questions relatives à la vie de la nation ».
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