Loi de bioéthique : 80 députés demandent au Conseil constitutionnel de « border le travail du législateur » concernant la recherche sur l'embryon

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Publié le 21/07/2021
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Crédit photo : Phanie

Le lundi 19 juillet, une délégation de députés, menée par Patrick Hetzel (député LR du Bas-Rhin), a été auditionnée par le Conseil constitutionnel dans le cadre d'un recours visant deux articles relatifs à la recherche sur l'embryon de la 3e révision de la loi de bioéthique définitivement adoptée le 29 juin dernier. Ce recours est signé par 80 députés dont on connaîtra la liste lors de la réponse du Conseil, prévue au début du mois d'août.

Les signataires ont restreint leur demande aux articles 20 et 23-1 de la loi et ne questionnent pas d'autres articles qu'ils jugent pourtant contraires au droit constitutionnel, comme l'élargissement de l'accès à l'assistance médicale à la procréation (AMP ou PMA). Pour Marc Le Fur, député LR des Côtes-d'Armor, « on a fait un choix stratégique. Nous sommes arrivés à un moment où le juge constitutionnel doit rappeler les bornes éthiques fondamentales ».

La crainte du scientisme

L'article 23-1 de la révision de la loi de bioéthique modifie l'article L2151-2 du code de la santé publique, en remplaçant la phrase « La création d'embryons transgéniques ou chimériques est interdite » par « La modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces est interdite ». Pour les députés signataires de la saisie, cette modification acte le fait que la création d'embryon transgénique est désormais possible, le législateur se contentant d'accepter, selon eux, ce fait accompli qui paverait le chemin de l'eugénisme. La reformulation permet aussi la création d'embryon animal contenant des organoïdes humains.

À ce titre, la saisine concerne aussi la possibilité de cultiver un embryon pendant 14 jours dans le cadre d'une recherche, inscrite dans l'article 20. Cette limite a été fixée à la suite de travaux de chercheurs parvenus à cultiver un embryon pendant 13 jours. Les parlementaires craignent que l'objectif ne soit, à terme, de faire grossir des organes humains dans des corps animaux. « Quelle recherche est destinée à s'arrêter au stade expérimental ? questionnent les parlementaires. À qui fera-t-on croire que des recherches coûteuses s'arrêteront face à la concurrence entre les laboratoires et face à la tentation d'améliorer industriellement l'espèce humaine ? »

Fixer des bornes constitutionnelles

Lors de leur audition, les députés se défendent de vouloir « prolonger artificiellement le débat parlementaire ». L'objectif affiché est que le Conseil constitutionnel « borne constitutionnellement le travail des législateurs » afin que ces derniers « ne soient plus les greffiers du progrès scientifique ». Les parlementaires souhaitent que le Conseil constitutionnel établisse une jurisprudence afin de fixer « jusqu'où on peut juridiquement traiter l'embryon, humain ou animal, comme un quelconque matériau de recherche et créer industriellement des éléments vitaux, par exemple des organes, en développant des chimères animal-homme, ou encore admettre la création d'embryons transgéniques », peut-on lire dans la transcription de l'intervention de Patrick Hetzel.

Lors d'un échange avec la presse, le député du Bas-Rhin a estimé que la nouvelle loi de bioéthique « menace l'espèce humaine, puisque l'animal est désormais mieux protégé, via les lois de protection de l'environnement, que l'homme, explique-t-il. Il y a une annexe à la constitution sur les questions environnementales qui avance le principe de précaution. Il faut qu'il s'applique à l’espèce humaine », rappelle-t-il.

Le Conseil constitutionnel devra s'exprimer sur la conformité de ces articles de loi avec l'article 16 du Code civil garantissant la primauté de la personne, interdisant toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantissant le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie.

Le Conseil constitutionnel va-t-il considérer l'embryon utilisé dans le cadre de la recherche biomédicale comme étant couvert par l'article 16 ? Pour Charles de Courson, député de La Marne (Libertés et Territoires), on touche là la question du manque de définition juridique. « Le juge constitutionnel s'était déjà prononcé là-dessus, se souvient-il. Il avait estimé qu'un statut particulier risquait de remettre en question le droit à l'IVG. » Charles de Courson a participé à toutes les révisions précédentes. « J'avais proposé que l'embryon ait un statut intermédiaire d'"être en devenir", à mi-chemin entre une personne et du matériel génétique. Lors de cette 4e révision, le rapporteur était d'accord avec cette nouvelle définition, mais l'amendement n'est pas passé. »

Les députés optimistes

Pour Patrick Hetzel, le simple fait qu'une audition ait eu lieu est un signe encourageant. « Ce n'est pas dans les habitudes du Conseil constitutionnel d'inviter les signataires d'une requête en conformité à développer des arguments de constitutionnalité », explique-t-il.


Source : lequotidiendumedecin.fr