Un secret médical bien gardé

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Publié le 25/01/2018
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un sectret

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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

« Il n'y a pas lieu de créer une dérogation supplémentaire et spécifique à la radicalisation », assurent en chœur le Conseil national de l'Ordre des médecins, la ministre de la Santé Agnès Buzyn, et la Dr Valérie Denux, chargée du volet santé de la radicalisation, auprès du secrétariat général des ministères sociaux. 

Deux articles du Code pénal prévoient des dérogations au secret médical pertinentes en matière de terrorisme. L'article 223-6 stipule que « quiconque pouvant empêcher par son action immédiate (...) soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de la faire, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ». Le médecin peut s'adresser au Procureur de la République. 

L'article 226-14 autorise le médecin « à informer le préfet (et à Paris le préfet de police) du caractère dangereux (...) des personnes qui les consultent et dont ils savent qu'elles détiennent une arme ou qu'elles ont manifesté leur intention d'en acquérir une ». Arme au sens large : par sa destination, qui est de tuer ou blesser. 

Pour les mineurs en voie de radicalisation, l'article L 226-2-2 du code de l'action sociale et des familles autorise les professionnels à échanger des informations à caractère secret. Le médecin peut transmettre à la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) des informations, en prévenant les parents, sauf si cela est contraire à l'intérêt du jeune. 

Si le médecin recueille les confidences d'un proche, il doit lui transmettre le numéro vert 0.800.005.696 du centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation. 

« Toutes ces dérogations nous paraissent suffisantes », estime le Dr Gilles Munier, vice-président de l'Ordre des médecins. « Au moindre conflit de devoirs, le CNOM conseille au médecin de se rapprocher de son conseil départemental », précise-t-il. 

Échanges d'information délicats

Malgré ces principes, les médecins sont parfois circonspects face à l'appel du pied des services de l'État et s'interrogent sur les échanges d'informations avec la justice, la préfecture, l'Aide sociale l'enfance, etc. 

Pour le Pr Roger Teboul, président de l'Association des psychiatres de secteur infanto-juvénile (API), qui s'exprimait en novembre lors du colloque de l'association nationale pour la clinique, la recherche et l'enseignement en psychiatrie (Ancre-psy), un « partage d'informations sans dissimulation » de la part de tous les partenaires, y compris les services de sécurité, conditionne la réponse des pédopsychiatres à toute sollicitation du politique. Or « les relations avec les services de sécurité ne sont pas cash ». Superviseur d'une équipe d'éducateurs, le Pr Teboul a rencontré un adolescent de 14 ans, sous le coup d'une mesure éducative en milieu ouvert pour des problèmes de comportements en lien avec l'Islam. Le Pr Teboul « travaille cette histoire », mais le temps passe. « Quand je revois le jeune, il est incarcéré car il correspondait sur le réseau Telegram avec un recruteur », explique le Pr Teboul, regrettant l'absence de communication entre professionnels avant cette rupture.

« La sécurité cherche à être conseillée, mais inversement, nous demandons une circulation de l'information à l'égard des professionnels de santé », réagit le Dr Valérie Denux. 

Le ministère de la Santé tisse un réseau territorial pour aider les préfectures à s'orienter vers les acteurs de santé pertinents, grâce aux référents radicalisation des agences régionales de santé (ARS). Et les ARS contribuent à la diffusion des connaissances auprès des acteurs du soin, via les journées de sensibilisation qu'elles organisent (par exemple, le 21 décembre 2017 à Paris).

Parallèlement, les cellules préfectorales peuvent solliciter des médecins pour un avis ou une orientation, à condition qu'ils ne soient pas en colloque singulier avec le patient afin qu'il n'y ait pas de rupture du secret professionnel.  

« Quand la préfecture nous adresse des jeunes, nous en accusons réception, mais ne leur fournissons pas d'éléments médicaux, et cela se passe bien », témoigne le Pr Marie-Rose Moro, directrice de la maison de Solenn.

Dans les Hauts-de-Seine, la préfecture a signé un protocole de confidentialité avec ses partenaires. « On ne demande pas à lever le secret professionnel : ce qui se dit en entretien doit y rester », a souligné Carole Lamberet, chargée de la radicalisation. « Mais on doit réfléchir ensemble, tous autour de la table, au cas par cas », a-t-elle conclu lors du colloque de l'Ancre-psy. 

C.G.

Source : Le Quotidien du médecin: 9634