Déconventionnement en urgence : les syndicats vent debout contre une « justice d'exception »

Par
Publié le 17/12/2020
Article réservé aux abonnés

Crédit photo : S.Toubon

C'est un décret qui passe très mal auprès des syndicats de médecins libéraux. Après le SML, toutes les autres organisations (CSMF, FMF, MG France, le BLOC et UFML) sont montées au créneau ces derniers jours pour dénoncer le texte publié au « Journal officiel » du 29 novembre.

Il vise à permettre à tout directeur de Caisse primaire d'assurance-maladie de déclencher la « procédure de déconventionnement exceptionnel », dite « en urgence », à l'encontre de tout professionnel de santé libéral (médecin, infirmier, pharmacien) « ayant commis une violation des engagements prévus par la convention particulièrement grave ou ayant engendré un préjudice financier pour l'organisme » – notamment dans les cas de nature à justifier le dépôt d'une plainte pénale.

Si le texte précise que la durée de ce déconventionnement ne peut excéder trois mois, il ne précise pas les cas concernés. De source syndicale, cette procédure cible les pratiques tarifaires abusives répétées ou frauduleuses (cotations fictives, multiplication d'actes, dépassements non autorisés, détournement de nomenclature, etc.) mais aussi les prescriptions illicites (médicaments, arrêts de travail, transports, etc.). Dans ces situations, le directeur de la CPAM où exerce le médecin peut donc lancer la procédure de déconventionnement en urgence, après avoir informé le professionnel incriminé par courrier et lui laisser huit jours pour répondre.

Arme de destruction massive

Mais ce pouvoir est jugé « discrétionnaire » par les syndicats qui disent avoir découvert ce texte au Journal officiel sans aucune concertation. « Le médecin peut ainsi être condamné sans étude de son dossier en commission paritaire locale et ses patients déremboursés s’ils le consultent. Ça se passe en France, en décembre 2020, un médecin n’est pas un justiciable comme un autre », considère le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML.

Pour MG France, « les directeurs de caisse se trouvent dotés d'une arme de destruction massive qui foule aux pieds les principes de la justice. Nous aurions préféré une procédure passant par une commission des pénalités, paritaire pour l'occasion, examinant le cas et rendant son avis. Lequel devrait être opposable au directeur de la CPAM et susceptible d'appel », souligne le Dr Jacques Battistoni, président du syndicat.

La CSMF dénonce la façon dont le texte est rédigé, laissant « toute latitude au directeur de faire ce qu’il veut ». « Il n’y a pas de critères, pas de limites. Une violation particulièrement grave des engagements, c’est quoi ? Un préjudice financier pour l’Assurance-maladie c’est combien ? Le dépôt d’une plainte pénale ne veut pas dire qu’il va être reconnu coupable. Le côté arbitraire laissé dans les mains du directeur est choquant », juge le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF.

Une disposition existante ?

La FMF, elle, ne comprend pas cette disposition, d'autant que « le déconventionnement exceptionnel est déjà prévu, de façon nettement plus précise dans l'annexe 24 de la convention médicale ». Cette annexe précise qu'en cas de violation « particulièrement grave » des dispositions législatives, réglementaires ou des engagements conventionnels justifiant le dépôt d’une plainte pénale (...) entraînant un préjudice financier dépassant huit plafonds mensuels de la Sécurité sociale, le directeur de la caisse peut décider de suspendre les effets de la convention (...). Cette suspension provisoire ne peut excéder trois mois. « Quelle idée saugrenue est-elle passée dans la tête de nos ministres ? À moins qu’il ne s’agisse tout bonnement de non-connaissance de la convention ? », s’interroge l'organisation présidée par le Dr Corinne Le Sauder.

Les syndicats voient en tout cas dans cette mesure une « manifestation de défiance et de méprise » envers les médecins libéraux. Le BLOC demande au gouvernement de supprimer cette disposition. La CSMF cherche les moyens juridiques pour compléter le décret de façon « à ce qu’il y ait la possibilité de recours auprès des commissions paritaires locales ».

Contactée par « Le Quotidien », l'Assurance-maladie ne souhaite commenter un décret qui relève du ministère de la Santé. Elle reconnaît toutefois que le déconventionnement en urgence est déjà rendu possible dans la convention médicale. 


Source : lequotidiendumedecin.fr