Financer respirateurs, unités Covid-19 et recherche

En Belgique, les hôpitaux croulent sous les dons

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Publié le 10/04/2020

En pleine crise du Covid-19, le CHU Saint-Pierre (Bruxelles) a fait appel au financement participatif pour boucler le budget de sa seconde unité de soins intensifs. Reprise par d’autres hôpitaux, l’initiative fait grincer les dents d'une partie des soignants.

Saint-Pierre a besoin de dix respirateurs pour équiper sa nouvelle unité de soins intensifs

Saint-Pierre a besoin de dix respirateurs pour équiper sa nouvelle unité de soins intensifs
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

« Notre hôpital s’apprête à traverser une longue crise. Tous vos dons sont les bienvenus. » Depuis plusieurs jours, sur son site internet et les réseaux sociaux, le CHU Saint-Pierre sonne l’alarme. Le grand hôpital bruxellois, référent national en matière de Covid-19, le dit haut et fort : l’argent des citoyens ne sera pas de trop pour traverser la tempête épidémique.

Lancé le 18 mars, cet appel au financement participatif, inédit, a fait le tour des médias et du royaume. Il faut dire que l’objectif de la collecte est des plus concret : l’achat de dix respirateurs artificiels pour équiper la nouvelle unité de soins intensifs, montée à la hâte par le CHU pour gérer l’afflux des malades du Covid-19. Saint-Pierre, qui dispose en temps normal de 30 lits de soins intensifs, a mis sur pied en 48 heures une seconde unité de 15 lits. Problème : seuls cinq respirateurs de réserve étaient disponibles. En manquaient donc dix, pour un coût unitaire de 40 000 à 50 000 euros. D’où l’appel aux dons. « Il s’agit d’un équipement de pointe absolument critique pour aider les patients les plus sévèrement atteints. Ces machines vont sauver des vies », insiste l’hôpital dans son message.

Deux millions en une semaine

L’initiative de l’hôpital bruxellois a inspiré ses homologues. Deux jours plus tard, c’était au tour de l’hôpital académique Erasme (Bruxelles) d’appeler publiquement à l’aide : il lui faut, explique-t-il, « un million d’euros pour transformer des unités d’hospitalisation en unités Covid-19 non-intensives, et pour financer un programme de recherche fondamentale et clinique sur la maladie ». Puis vint l’appel du CHR de Liège, et celui du CHU de Namur.

Les hôpitaux belges ne se sont pas trompés : la générosité est au rendez-vous. Si le CHU de Saint-Pierre demeure pour l’heure discret sur les montants, la Fondation Roi Baudouin, l’organisme chargé de la collecte pour plusieurs hôpitaux (dont Saint-Pierre), annonçait lundi 23 mars avoir perçu plus de 2 millions d’euros en une semaine. Et les dons, de particuliers comme d’entreprises, continuent d’affluer.

« Idéologiquement très limite »

Reste que l’appel fait grincer des dents une partie des professionnels. Cette situation illustre bien, à leurs yeux, la faillite de l’hôpital public et les conséquences du définancement chronique de la santé en Belgique. « Que Saint-Pierre doive faire la manche pour avoir des respirateurs, c'est une honte totale ! », s’insurge ainsi un urgentiste liégeois, dans une tribune publiée par l'hebdomadaire « Le Vif » et abondamment relayée. Il y regrette « les milliards d’euros » que les différents gouvernements belges ont ôtés aux soins de santé ces dernières années. « Ce n’est pas à la population de nous acheter des respi. Honte à vous Maggie [Maggie De Block, la ministre belge de la santé, NDLR] », clame de son côté une soignante de Saint-Pierre sur le réseau social Facebook.

« Idéologiquement, c’est tout de même très limite, et ça me met en colère : c'est bel et bien à l'État d’assurer le financement de la santé publique », estime pour sa part le Dr Chloé Bruggeman, généraliste bruxelloise montée au front, à la rescousse des collègues hospitaliers, dans les tentes de tri des patients suspectés de Covid-19. « Les citoyens ont déjà nettement participé via leurs cotisations sociales et leurs impôts. C'est un peu fort de café d'en redemander parce que cet État n'a pas su redistribuer l'argent dans les bons secteurs. »

De notre correspondant Benjamin Leclercq

Source : Le Quotidien du médecin