Les médecins dans les médias : une valeur montante

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Publié le 09/06/2020
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Crédit photo : AFP

Crise sanitaire oblige, la parole scientifique a connu un écho médiatique retentissant. Sur les ondes ou sur les chaînes d’info en continu, les médecins ont fait l’actualité. Certains plus que d’autres. De l’expertise au vedettariat, retour d’expérience avec trois figures incontournables.

« Star, moi ? C’est n’importe quoi ! » Cash, net, sans bavure. Le Pr Karine Lacombe, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, n’est pas femme – l’une des rares à s’être imposées dans les médias – à surfer sur la vague de sa fraîche notoriété. Aucun goût pour les falbalas ni les sunlights. Sa seule hâte aujourd’hui ? Relancer les projets de recherche qui se sont arrêtés avec le Covid-19, assure-t-elle. Un temps pour tout, en somme. « Au début de l’épidémie, je me suis pas mal investie car ce que j’entendais me semblait en décalage avec ce qui se passait. C’était soit trop alarmiste soit trop optimiste ». Entre les deux, elle a réussi à dessiner une ligne médiane qui a été sa marque et fait son succès : pédagogie et modestie. « J’étais dans mon rôle », dit-elle simplement.

Un devoir de vulgarisation

Novice ou pas, la prudence ne serait-elle pas au médecin ce que la réserve est au militaire : une obligation ? « Le scientifique doit avoir le doute méticuleux », rappelle le Pr Philippe Juvin, chef des urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris, citant Louis Pasteur. Plateaux, radios, journaux : ce fut, affirme-t-il, son vade-mecum durant ces deux mois de confinement, qui l’ont vu se démultiplier, verbe clair et ton convaincant. « J’ai essayé de faire del’information, en expliquant les données que j’avais pu lire pour que les gens aient confiance. Et quand je ne savais pas, je le disais aussi. L’admettre renforce votre crédibilité. » Assez contre-intuitif a priori et, pourtant, confirme le Pr François Bricaire, « les gens vous en sont reconnaissants ».

Rompu à l’exercice médiatique, l’ex-chef du service d’infectiologie de l’hôpital parisien de la Salpêtrière, est de ces réservistes que les journalistes appellent volontiers. « C’est un devoir pour les hospitalo-universitaires de participer à cette vulgarisation », explique-t-il. En mission d’intérêt public, en quelque sorte. Et d’ailleurs, avant d’entamer sa tournée du PAF, François Bricaire s’en est ouvert aux autorités de santé ainsi qu’à l’Académie nationale de médecine, institution à laquelle il appartient. Ainsi adoubé, voire mandaté, il a été classé dans le groupe des « rassurants », sous-entendu « trop ». Moins une affaire de voix officielle, répond-il, qu’une question de caractère. De toute façon, l’important est ailleurs et, notamment, dans le souci qui ne l’a pas quitté, souligne-t-il, de « ne pas déraper pour éviter d’énoncer une contre-vérité ».

Vindicte sur twitter

Ces précautions n’empêchent pas les convictions. Le Pr Karine Lacombe reconnaît s’être aussi mobilisée pour « déconstruire ce qui était scientifiquement faux ». Dans sa ligne de mire, le Pr Didier Raoult et son entrisme peu orthodoxe, au regard des protocoles en usage, en faveur de la Chloroquine. Le 23 mars, au journal de 13 heures de France 2, elle tient des propos assez définitifs, qualifiant la démarche de l’infectiologue marseillais de « faux espoir ». La phrase va tourner en boucle. « S’il n’y avait pas eu ce clash, admet-elle, fataliste, je n’aurais sans doute pas été aussi connue. » Ni autant chahutée. « En deux jours, mon compte twitter a été totalement pollué par les fans de Didier Raoult. » Compte clos et fin de l’histoire. 

Plus de réseau social, mais pas d’extinction de voix pour autant. Karine Lacombe est désormais impliquée dans un autre combat, celui de la défense de l’hôpital public. Même scénario post-Coronavirus pour Philippe Juvin qui, s’il n’a rien personnellement contre les médailles, ne saurait voir dans cette reconnaissance « l’alpha et l’oméga ». Quant à François Bricaire, il continuera gracieusement, tant qu’on le sollicitera, à défendre sa position mesurée sur le terrain de l’épidémie. « J’ai un contrat moral avec moi-même », conclut-il, tout en reconnaissant que sa présence dans les médias est rarement bon signe. Un comble pour un modéré.


Source : Le Quotidien du médecin