Les points de vue d'Alice Martin et de Jean-Baptiste Guillaume*

Parcours de soin : quand le patient devient client

Publié le 23/06/2020

Cabinet de conseils spécialisé sur la compétitivité industrielle, IAC Partners accompagne des établissements de soins dans leur réflexion sur l'accompagnement des patients. Deux spécialistes de cette structure évoquent la genèse de cette démarche outre-Atlantique et outre-Manche et son introduction encore prudente en France.

Crédit photo : DR

En 2017, l’oncologue américain Ethan Basch publie une étude percutante sur un essai clinique d’un nouveau genre. En voici les grandes lignes : entre 2007 et 2011, environ 800 patients en oncologie ont pu bénéficier d’une application web permettant d’alerter sur leurs symptômes en temps réel et de recevoir ainsi une attention médicale sur les effets indésirables de leur chimiothérapie. Cette attention portée au patient et la satisfaction engendrée ont contribué à augmenter leur espérance de vie de 20 %. Il s’agit là de l’aboutissement de la mesure de l’expérience patient, bien connue dans les pays anglo-saxons mais encore peu mise en place en France.

L’initiative naît en 2010 aux États-Unis avec la création par l’administration américaine du PCORI (Institut de Recherche des Résultats Centré sur le Patient). Elle marque le début d’une tendance visant à recentrer l’expérience de soins autour du patient. L’idée sous-jacente consiste à prouver que la satisfaction d’un patient sur son parcours de soins joue un rôle prépondérant sur son état de santé. Depuis, les PROMs (Patient Reported Outcomes Measures) et les PREMs (Patient Reported Experience Measures) sont rentrées dans le langage commun des établissements de santé nord-américains.

De quoi s’agit-il ? Ces questionnaires remplis par le patient à des moments précis de leur prise en charge et jusqu’au domicile, permettent d’évaluer le résultat des soins perçus par le patient mais aussi son ressenti. Les questions peuvent traiter d’indicateurs généraux sur l’état de santé (sentiment de bien-être, état mental et physique) ou liés à un groupe de pathologies (cancer, diabète), individuels (population, âge), etc. L’évaluation porte aussi sur le ressenti (satisfaction, écoute du praticien) et des critères plus objectifs (délai d’attente).

Depuis leur mise en place, les politiques gouvernementales aux États-Unis et au Royaume-Uni n’ont cessé de les encourager, avec une ligne directrice : améliorer la relation soignant-soigné et la qualité du parcours patient. Pour inciter les hôpitaux, les agences de régulation appliquent un système de paiement à la performance pour récompenser les plus compétitifs. Dans des pays où le système de santé s’apparente à un marché, le modèle fait sens.

Dans l'Hexagone, une idée qui progresse aussi

 

Mais qu’en est-il en France ? La Haute Autorité de la Santé propose la série d’indicateurs e-SATIS, qui mesure la satisfaction des patients hospitalisés depuis plus de 48h. Ce questionnaire d’une trentaine de questions scanne l’expérience de l’admission (accueil, parking, horaires de visite) à la sortie, en passant par la prise en charge (clarté et spontanéité des informations reçues, écoute, soutien, chambre, repas, etc.). S’il est maintenant obligatoire pour les établissements de santé ayant une activité supérieure à 500 séjours par an, la prime à la performance n’est pas encore envisagée.

L’opportunité pour le système médical français est de pouvoir replacer le patient au centre des décisions médicales qui le concernent, ce qui a un impact non négligeable sur son état de santé. Ces initiatives peuvent encourager le corps médical à se porter plus à l’écoute des besoins des malades, mais elles n’ont de sens que si elles sont accompagnées d’un réel investissement : suffisamment de personnel et une collecte des données informatisée, organisée et standardisée entre les établissements. Ces freins peuvent expliquer le lent développement de ces méthodes en France.

Une autre raison réside dans l’appréhension historique à faire un parallèle entre patients et clients. En effet, la mise en place d’indicateurs dans les hôpitaux se heurte souvent à une mauvaise compréhension de leur utilisation finale. L’objectif ici n’est pas de contrôler la relation soignant/soigné, mais plutôt de donner l’opportunité à ce dernier de s’exprimer et de rendre l’information transparente.

Les perspectives ne s’arrêtent d’ailleurs pas aux hôpitaux : aux États-Unis, certains assureurs choisissent de rembourser en priorité les procédures de soins ayant un meilleur ratio satisfaction patient/ coût. Et pour aller plus loin, il pourra également s’agir de rendre accessible aux usagers toute l’information sur la qualité et la sécurité des soins tels que perçus par les patients. 

* Alice Martin, manager et doctorante d'IAC Partners et Jean-Baptiste Guillaume, associé et expert santé d'IAC Partners.

Source : Le Quotidien du médecin