Entretien avec le président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale

Pr Alain Fischer : « Les généralistes sont les premiers acteurs de la diffusion d'informations sur le bien-fondé de la vaccination »

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Publié le 15/01/2021
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Le 3 décembre, le Pr Alain Fischer a été nommé par Matignon en tant que président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale. « Il fallait fixer des priorités », assume le médecin immunologiste qui s'explique sur tous les sujets : comité citoyen, logistique, variants, arrivée de nouveaux vaccins, effet possible sur la transmission virale mais aussi rôle des généralistes pour convaincre !

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

LE QUOTIDIEN : Quelle est la mission du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale que vous présidez ?

Pr ALAIN FISCHER : Notre mission est de donner des avis sur les aspects scientifiques, médicaux et sociétaux concernant la stratégie vaccinale et particulièrement la stratégie de communication auprès des professionnels de santé et du grand public. Ce conseil est composé de quatorze membres : des médecins biologistes spécialistes de la vaccination, des spécialistes en sciences humaines et sociales, des représentants de la société civile, des médecins généralistes, des infirmiers et des pharmaciens.

Le ministère de la Santé a fait appel à un cabinet de conseil privé pour la campagne vaccinale. Travaillez-vous avec ce cabinet ?

Les missions du conseil sont sans lien avec celles confiées à ce cabinet privé. En revanche, notre travail d'analyses et de propositions se fait en interaction avec les équipes du ministère de la Santé – dont celle de Laetitia Buffet qui est chargée de la task force – et avec les agences comme la Haute Autorité de santé (HAS), l'Agence du médicament (ANSM) et Santé publique France. On peut aussi mentionner plusieurs comités importants avec des élus, des médecins généralistes et des directeurs d'établissements de santé. Il y a aussi le comité vaccin préexistant qui travaille sur l'évaluation des caractéristiques des vaccins après l'audition des industriels. Sans oublier le comité citoyen mis en place prochainement sous l'égide du Conseil économique social et environnemental (CESE).

Justement, quel sera le rôle de ce comité citoyen ?

Il faut être clair. Ce comité citoyen n'a pas pour mission de définir la stratégie vaccinale. Nous devons tenir compte de ses avis s’agissant d’une politique par définition concernant le grand public. Ce comité est chargé de faire remonter toutes les remarques sur ladite stratégie. Nous le solliciterons sur l'efficacité de la communication autour de la vaccination et les améliorations à apporter. Les membres de ce comité pourront s'autosaisir pour nous poser des questions, auditionner ceux qu'ils souhaitent ou faire des propositions. Trente-cinq Français vont être tirés au sort. Quand il y a davantage de monde, c'est plus représentatif mais plus compliqué pour travailler ensemble ! Un petit groupe divers et bien formé permet de faire du bon travail.

Comment expliquez-vous le démarrage poussif de la campagne de vaccination en France par rapport à d'autres pays, comme l'Allemagne ?

Qualifier la campagne vaccinale 15 jours seulement après son début n'a pas de sens. C'est comme si on désignait le vainqueur du Tour de France après les 50 premiers km de la première étape. Comme vous le savez, il n'y a pas aujourd'hui suffisamment de vaccins pour tous les Français. Il fallait donc fixer des priorités dans la stratégie.

En France, la HAS a recommandé, dans sa sagesse, de vacciner d'abord les personnes âgées dans les maisons de retraite, qui sont les plus à risque de formes graves et les plus exposées au virus. Le gouvernement a donc suivi cette recommandation en faisant le choix de ne pas déplacer ces personnes dans les centres de vaccination. Il fallait donc acheminer les vaccins disponibles, c'est-à-dire ceux de Pfizer/BioNTech qui nécessitent une conservation à - 80 °C, dans les 7 000 EHPAD. Cela a réclamé une organisation logistique complexe.

La France n'a pas intégré les soignants immédiatement, dans la première phase. Est-ce par prudence excessive ?

Ce n'est pas si simple. Nous devons raisonner en fonction du nombre de doses disponibles. Avec un approvisionnement de 500 000 doses par semaine pour janvier, nous avons décidé d’accélérer et d’ouvrir immédiatement aux soignants de plus de 50 ans. À compter du lundi 18 janvier, la vaccination concernera les personnes âgées de plus de 75 ans non-résidents en maisons de retraite, soit 5 millions de personnes, et les patients atteints de maladies chroniques ou de maladies rares.

La lenteur n'est-elle pas liée au mille-feuille administratif ?

Il ne me semble pas que ce soit la raison. En revanche, nous avons simplifié les démarches. La consultation médicale pré-vaccinale par exemple peut être allégée avec un questionnaire court, et le recours au médecin est nécessaire uniquement lorsque le patient le réclame ou lorsqu'une question médicale se pose.

Dans une logique d'optimisation des doses, le gouvernement envisage d'administrer la seconde dose du vaccin Pfizer/BioNTech jusqu'à six semaines après la première au lieu de trois à la suite d'un avis de l'ANSM. Êtes-vous favorable à cette démarche ?

Pour les vaccins de Pfizer et de Moderna, les deux doses sont nécessaires pour avoir une protection optimale. Dans les essais cliniques, certains participants ont eu la seconde dose à six semaines. Néanmoins, mon sentiment personnel c'est que plus nous nous rapprochons de la recommandation initiale qui est de trois semaines pour le vaccin Pfizer et de quatre semaines pour Moderna, mieux c'est, car l'on dispose de données scientifiques solides pour ces délais. En tout cas, il ne faut pas dépasser six semaines.

Faut-il voir dans les centres de vaccination créés d'ici à la fin de janvier le retour des "vaccinodromes" critiqués par des libéraux ?

Il faut oublier les vaccinodromes ! Je suis ouvert à toutes les formes et tailles possibles, à condition de respecter les quelques règles de sécurité. Les maisons de santé par exemple peuvent tout à fait y participer, de même que les centres de vaccination préexistants. Il y a déjà de nombreuses initiatives au niveau des communes pour mettre en place ces centres.

L’objectif est de vacciner un million de personnes d'ici à la fin de janvier. Est-ce réalisable ? Y a-t-il un risque de pénurie de vaccins ?

Avec les 600 centres de vaccination ouverts d'ici à la fin du mois, je suis plutôt confiant sur l'objectif d'un million de personnes vaccinées. On a envie de vacciner un maximum de personnes en optimisant l'utilisation des vaccins disponibles. Nous avons d'ores et déjà deux vaccins autorisés. Mais il y a des incertitudes concernant les autres vaccins, dont celui d'AstraZeneca. Si ce dernier reçoit le feu vert des autorités, l'impact sera important sur notre capacité à vacciner.

En dehors des vaccins de Pfizer, Moderna et AstraZeneca, quels sont ceux qui devraient être bientôt disponibles en France ?

Des résultats devraient être disponibles au cours du premier trimestre pour le vaccin ARN de CureVac et le vaccin à adénovirus de Janssen (Johnson&Johnson). En revanche, le vaccin Sanofi, qui appartient à la classe des vaccins à protéine recombinante avec adjuvant, ne devrait pas être prêt avant le second semestre. La société américaine Novavax a également développé ce type de vaccin pour lequel nous devrions avoir des résultats plus tôt. Nous pouvons ainsi espérer avoir dans les six mois qui viennent cinq ou six vaccins différents pour vacciner le plus grand nombre de nos concitoyens.

Comment positionner ces vaccins les uns par rapport aux autres dans la stratégie ?

Plusieurs aspects sont à prendre en compte et nous ne disposons pas encore de tous les éléments. D'après les données actuelles, la tolérance est bonne pour tous les vaccins précités. L'efficacité semble meilleure pour les vaccins ARNm que pour les vaccins à vecteurs adénoviraux. Nous avons donc tout intérêt à utiliser ces vaccins plus efficaces pour les personnes âgées et les personnes fragiles qui ont une moins bonne immunité. La stratégie sera adaptée au fur et à mesure des nouvelles données d'efficacité et de sécurité, mais aussi des données concernant la durée d'efficacité – pour l'instant de deux à trois mois.

À ce jour, que sait-on de l'effet sur la transmission virale ?

Il est difficile de répondre à cette question de la transmission pour le moment, car il faut des données épidémiologiques. D'ici à quelques mois, nous devrions en savoir plus, voire avant si l'effet est évident. Les essais de phase 3 ne permettent pas de répondre à la question car il aurait fallu effectuer des prélèvements pour rechercher le virus chez les personnes contacts des personnes vaccinées. Les données immunologiques indirectes suggèrent néanmoins une protection.

D'après la HAS, de futurs vaccins ciblant l'immunité muqueuse pourraient être efficaces pour réduire la transmission. Qu'en est-il ?

Effectivement, de tels vaccins pourraient être développés, mais à plus long terme. Ces vaccins inviteraient à modifier la stratégie, en ciblant davantage les personnes plus jeunes qui sont de plus grands transmetteurs. Ce changement de stratégie devra être expliqué au grand public. Aujourd'hui, la priorité de la stratégie est de prévenir les formes et graves et les décès chez les personnes à risque. Bien entendu, les deux stratégies, l'une s'appuyant sur l'immunité collective, l'autre sur l'immunité individuelle, peuvent être concomitantes.

Avec la stratégie d'immunité collective, l'aspect altruiste de la vaccination pourra être promu dans les campagnes d'information.

La propagation de nouveaux variants, tels que le britannique VOC 202012/01, doit-elle faire craindre pour l'efficacité vaccinale ?

Les données préliminaires suggèrent que le variant britannique est reconnu par les anticorps produits par les personnes vaccinées, ce qui est plutôt rassurant, même si cela est à confirmer. Néanmoins, il n'est pas impossible qu'un autre variant puisse échapper aux vaccins tels qu'ils ont été développés. Ceux-ci nécessiteraient alors d'être adaptés, ce qui est faisable de manière assez rapide pour les vaccins ARN. Les variants sont donc à surveiller de très près.

Les essais cliniques n'apportent pas de données solides sur les personnes âgées et les personnes à risque. Dès lors, comment considérer qu'ils sont sans risque pour ces populations qui ont le plus besoin de la vaccination ?

Nous disposons de données pour des personnes jusqu'à 75 ans, ce qui est déjà très rare pour les essais vaccinaux et thérapeutiques. Il est impossible en pratique d'avoir des données d'efficacité chez des personnes plus âgées. Quelques-unes ont été incluses dans les essais de Pfizer et de Moderna, mais elles n'étaient pas assez nombreuses pour atteindre la puissance statistique.

Néanmoins, si le vaccin est efficace jusqu'à 75 ans, il apparaît éthique et raisonnable de le proposer à des populations plus âgées. La balance bénéfice-risque est jugée ainsi très favorable aussi bien pour les personnes âgées que les autres personnes à risque, alors que les effets indésirables sont extrêmement rares. Les données disponibles sont très encourageantes en termes de sécurité.

Selon la DREES, 75 % des médecins sont prêts à se faire vacciner. L'obligation vaccinale pourrait-elle néanmoins être envisagée pour les professionnels de santé ?

C'est une bonne nouvelle, mais nous devons aussi convaincre les réticents. Néanmoins, je ne suis pas favorable à l'obligation vaccinale car je pense que nous pouvons accroître le niveau d'adhésion sans avoir à y recourir. Mon conseil travaille au développement d'outils pour convaincre l'ensemble des professionnels de santé de se vacciner.

Qu'en est-il de la méfiance vaccinale des Français ?

Les Français sont face à des informations tout à fait nouvelles, il est donc légitime qu'ils se posent des questions. Il faut leur apporter des réponses par une campagne bien menée avec des informations justes et transparentes, via tous les canaux possibles : médias, réseaux sociaux… Les professionnels de santé et les médecins généralistes devront être les premiers acteurs de cette diffusion d'informations sur le bien-fondé de la vaccination.

De nombreux Français ont été touchés directement, l'enjeu est perceptible par tous. De plus, je suis convaincu que les personnes âgées qui vont être les premières vaccinées et qui iront bien vont pouvoir être les ambassadrices de la vaccination.

La notion de passeport vaccinal – qui permettrait aux personnes vaccinées d'assister à certains événements ou bien de prendre l'avion – a été évoquée. Que pensez-vous d'une telle démarche ?

Je suis opposé à cette solution pour des raisons éthiques et médicales. Une telle approche est médicalement illusoire alors que nous ne connaissons pas la durée de protection des vaccins et nous ne savons pas si les personnes vaccinées, tout en étant immunisées, peuvent transmettre ou non le virus.

Comment toucher tous les Français, surtout ceux dans les déserts médicaux et les patients sans médecins traitants ?

Ce sera plus compliqué. Mais à la fin du mois, avec 600 centres de vaccination ouverts, il sera toujours possible de trouver un endroit à quelques dizaines de kilomètres pour se faire vacciner. Puis des réflexions sont en cours notamment à l'hôpital Necker pour créer des équipes mobiles qui iront vacciner les personnes à domicile.

Propos recueillis par Charlène Catalifaud et Loan Tranthimy

Source : Le Quotidien du médecin