Prix Nobel de médecine 2022 : le champion de la paléogénétique humaine Svante Pääbo récompensé

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Publié le 03/10/2022

Crédit photo : AFP

Le prix Nobel 2022 de physiologie ou médecine est attribué cette année à Svante Pääbo. Le comité Nobel récompense ainsi le minutieux travail du paléogénéticien suédois, à qui l'on doit la reconstitution du génome de deux hominidés disparus : le Néandertalien et le Denisovien. « Il s'agit d'un fondateur de notre domaine, réagit Eva-Maria Geigl, directrice CNRS à l'institut Jacques Monod, coresponsable d'un groupe de paléogénomique. Il a été le premier à travailler sur de l'ADN ancien. Sa quête a toujours été d'essayer de comprendre comment l'Homme d'aujourd'hui est devenu ce qu'il est. »

« C'est une découverte scientifique fondamentale qui a permis d'affiner les modèles anatomiques des hominidés pour mieux comprendre notre physiologie, explique pour sa part le président du comité d'attribution du prix en physiologie, Nils-Göran Larsson. Cette découverte a un impact sur notre vie de tous les jours, elle donne les bases de la compréhension des caractéristiques propres aux humains, comment elles ont évolué au fil des millénaires. »

Svante Pääbo a été formé à l'université d'Uppsala, en Suède, au cours de travaux sur les adénovirus et leurs interactions avec le système immunitaire. À l’époque, il travaillait secrètement sur un projet pour isoler puis cloner l'ADN d'une momie de 2 400 ans. En 1987, il commence un postdoctorat à l'université de Californie, à Berkeley, où il commence ses travaux sur l'ADN ancien.

Un travail d'orfèvre

Fragmenté et contaminé par les génomes de nombreux micro-organismes, l'ADN retrouvé dans les ossements humains anciens représentait un colossal défi à reconstituer. Svante Pääbo a réussi ce tour de force grâce aux nouvelles techniques de purification et de séquençage.

En 1990, il est recruté par l'université de Munich, où il commence à travailler sur l'ADN mitochondrial présent en multiple copies et plus facile à extraire. Il isole alors une séquence de 379 nucléotides d'ADN mitochondrial néanderthalien qu'il compare à celui de 2 051 humains modernes et 59 chimpanzés.

Par la suite, Svante Pääbo et son équipe publient des données sur l'ADN mitochondrial isolé depuis des ossements prélevés sur le site de Vindija, en Croatie, dans la grotte de Mezmaiskaya, dans le nord du Caucase et de quatre autres squelettes originaires de plusieurs sites européens. À l’époque, rien ne permet encore de conclure qu'il a eu une contribution significative des Néandertaliens au génome des Homo Sapiens.

Par la suite, de nouveaux progrès techniques permirent de purifier et séquencer l'ADN nucléaire issu d'os anciens. Une révolution pour l'équipe de Svante Pääbo qui l'appliquera dans un premier temps à plus de 70 fragments d'os et de dents de Néanderthaliens. Au fil des années, ce sont 4 milliards de nucléotides qui sont ainsi cartographiés, soit l'intégralité du génome Néandertalien, notamment grâce à l'apport d'ossements provenant de la vallée de Mezmaiskaya, dans le Caucase, et de la grotte El Sidrón, en Espagne. La publication en 2010 du génome entier de Néandertal fera l'effet d'un tremblement de terre.

Les travaux de Svante Pääbo ont permis d'établir une chronologie plus précise des différentes spéciations qui ont conduit à l'espèce humaine telle qu'on la connaît aujourd'hui. Il a « suffi » pour cela de mesurer le niveau de dérive génétique entre les chimpanzés et les hominidés (ce qui a permis de constater qu'ils se sont séparés il y a 6 millions d'années) d'une part, puis entre les différents hominidés d'autre part. Grâce aux travaux de Svante Pääbo, on sait désormais que la spéciation entre Homo Sapiens et l'homme de Néandertal a eu lieu il y a 825 000 ans. On doit également au chercheur suédois la caractérisation d'un nouvel hominidé : le Denisovien, à partir de l'ADN contenu dans l'unique phalange distale retrouvée à ce jour.

Enfin, c'est également lui qui a mis en évidence qu’Homo sapiens, les Néandertaliens et les Denisoviens se sont livrés à des échanges de gènes pendant les quelque 20 000 années de période de coexistence (des Néandertaliens étaient encore présents en Europe il y a 30 000 ans). « Les Sapiens sont originaires d'Afrique, le métissage avec les Néandertaliens leur a donné des atouts pour s'adapter aux régions européennes et asiatiques », précise Eva-Maria Geigl. On estime par exemple que certaines caractéristiques de notre système immunitaire et de notre faculté à tirer le meilleur parti des sources de sucres disponibles dans notre alimentation sont un héritage de notre cousin néandertalien.

« Dans une population mexicaine où la prévalence du diabète est particulièrement élevée, on a découvert l'implication de séquences issues du croisement avec les Néandertaliens, illustre Eva-Maria Geigl. On peut imaginer qu'à l'avenir, le développement de la médecine génomique repose en partie sur les données issues de la paléogénétique ! »


Source : lequotidiendumedecin.fr