Hommage

Yves Chabbert, un grand scientifique qui a marqué son temps

Publié le 03/09/2018
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Le Professeur Yves Achille Chabbert nous a quittés le 11 juillet. L’homme que l’on respectait en France et dans le Monde, faisait partie de la toute première équipe qui a établi les bases de l’antibiothérapie et la pratique de l’usage rationnel des antibiotiques dont on parle tant aujourd’hui.

Il avait pris sa retraite en 1983 et quitté « l’Unité des Agents Antibactériens et le Centre National de Référence sur la Résistance aux Antibiotiques » à l’Institut Pasteur, pour s’établir avec son épouse dans sa propriété du Cap Ferret. Aux travaux manuels, surtout du bois, qu’il maîtrisait parfaitement, s’ajoutait le goût des lectures philosophiques et la passion de la mer et des bateaux. Dès l’enfance, la tradition familiale l’avait initié au monde de la navigation.

Yves Chabbert est né à Bordeaux le 1er avril 1921. C’est sur la côte atlantique que se sont déroulées son enfance, puis ses études de Médecine à Bordeaux. Son goût pour le monde l’a poussé à s’intéresser aux maladies infectieuses, tropicales et leur biologie.

Voilà la « drôle de Guerre », l’occupation, le service du travail obligatoire qui touche ceux qui sont nés entre 1920 et 1922. Son Internat est interrompu de novembre 1943 à septembre 1945 pour assurer la relève des médecins en charge des camps de prisonniers en Bavière. Fin 1945, il revient à l’hôpital de Bordeaux. En 1946, chaque service reçoit quelques millions d’unités de pénicilline G à utiliser au mieux. Yves Chabbert décrit alors le mode d’action de la pénicilline sur les gonocoques en observant (colorations et cultures) les prélèvements successifs qu’il fait sur les malades traités.

Pionnier de l'antibiothérapie à l'Institut Pasteur

La pénicilline est toujours un produit passionnant, qu’il va prendre comme sujet de thèse : la « mise au point d’une technique de dosage utilisable chez les malades » pour laquelle il reçoit le prix « Godart ». Celui-ci, joint à son enthousiasme, le conduit à l’Institut Pasteur en 1947, le lieu où se déroulera toute sa carrière. René Martin, le chef de service de l’Hôpital Léon Le Minor, s’occupe des entérobactéries et de leur classement. Georges Cannetti, rentrant de Sanatorium, travaille sur le BK et la Streptomycine. Jacques Tréfouel, l’homme des Sulfamides, est alors Directeur de l’Institut, qui regroupe tant de grands chercheurs.

Yves Chabbert contribue aux premières guérisons d’endocardites d’Osler : sensibilité in vitro aux antibiotiques, des streptocoques et des entérocoques, étude de leur activité bactéricide, étude des associations d’antibiotiques pour reconnaître les synergies éventuelles et dosages de la Pénicilline dans le sérum. Puis, surtout, on discute ensemble au chevet du malade : la microbiologie clinique est née.

Dès les années 50, les grandes questions sur les antibiotiques sont à la recherche de réponses, toujours attendues : problèmes de la résistance, ses origines, ses mécanismes, son émergence ; interprétation des techniques in vitro de sensibilité, de la bactéricidie, de l’effet des associations ; leur parallélisme avec la réponse clinique ; utilité du taux sanguin des antibiotiques… En 10 ans, Yves Chabbert va donner aux laboratoires cliniques des techniques et, bien plus encore, un « mode de pensée ».

En 1959, l’OMS réalise que la détermination de la sensibilité des bactéries aux antibiotiques appelle une standardisation des protocoles et la reconnaissance de techniques de référence. Le groupe d’experts, dont il fait partie, est constitué et travaillera 12 ans. Ils sont une trentaine et représentent le monde entier.

Un rayonnement internationnal

Yves Chabbert est connu par tous. Il a toujours des idées neuves et travaille très vite. Il fabrique les disques, connaît les buvards adéquats. Il a défini les qualités des milieux de culture nécessaires et établi des mesures de contrôle. Il regarde mieux qu’un autre les boîtes de Pétri. Il est invité partout. Sa compétence, son inséparable pipe, sa frugalité, sa passion du bateau et son humour lui valent l’amitié de tous. Il assiste et contribue aux Congrès Européens et internationaux. L’ICAAC naît en 1960 aux USA, les seuls Français présents sur place sont Y. Chabbert et A. Monnier.

Sans doute, le premier enseignement au monde, consacré aux antibiotiques a vu le jour à l'Institut Pasteur. Grâce à Y.Chabbert, en 20 ans, La France entière pratique des antibiogrammes avec sa méthode. Il a déjà prôné la surveillance de la résistance des bactéries dès les années 60. C’est sans doute grâce à son enseignement et son audience nationale que les messages récents de bon usage et de contrôle hospitalier des infections ont bien été pris en compte et que la situation présente en France de la multirésistance bactérienne reste encore gérable.

Les années 60 et 70 sont remarquables par la diversité et la richesse de ses publications : non seulement sur chaque antibiotique nouveau, mais aussi sur chaque mécanisme de résistance. Il voit avant les autres la résistance inductible à l’érythromycine des staphylocoques, la fréquence de la résistance à la rifamycine…, la biochimie, la génétique de la résistance et sa fréquence, les bactéries d’origines humaine et animale, les staphylocoques, les pneumocoques, les entérocoques, les entérobactéries… Il travaille sur le transfert horizontal des gênes entre bactéries, l’étude des plasmides, leur classification et leur individualité…

« Patron » d'exception

On vient de partout pour travailler chez lui et suivre son enseignement. Les amis viennent aussi de loin pour échanger sur les nouveautés : Julian Davies, Naomi Datta, Fernando Baquero et d'autres. Les « journées de L’Institut Pasteur » sur l’antibiothérapie, très recherchées deviendront, 10 ans plus tard, la « RICAI ». Celle-ci garde toujours la qualité et le succès que lui ont apportés Yves Chabbert, André Bertrand et Roger Cluzel. La section des agents antimicrobiens de la SFM garde encore la journée annuelle de recherche fondamentale, prise en charge par Patrice Courvalin.

Sans parler des techniciens et des techniciennes qui le vénéraient, il me faut citer ceux qui, dans le laboratoire, travaillaient avec enthousiasme pour ce « patron » que je n’ai jamais entendu dire un mot désagréable à ses collaborateurs : Guy Baudens, Jacques Acar, Daniel Bouanchaud, Thea Horod, Janine Witchitz, Nevine EL-Solh, Eckkehardt Collatz. Patrice Courvalin lui succédera et prendra en charge l’Unité des agents antibactériens et le Centre national de référence sur la résistance aux antibiotiques dont il maintient le rayonnement international et poursuit la tradition de l’enseignement : du malade à la complexité moléculaire et retour.

Il nous faut ajouter qu’Yves Chabbert a été élu Membre de l’Académie Royale de Médecine de Belgique le 24 novembre 1984, qu’il était Membre et Directeur du Conseil Scientifique de l’Institut Pasteur de 1974 à 1977, qu’il a reçu la médaille des épidémies en 1947 et la médaille Waksman en 1974. En 1973, il est nommé Chevalier de la Légion d’Honneur et Chevalier du Mérite Agricole. Enfin, André Thabaut lui remet les insignes d’Officier de la Légion d Honneur le 11 juillet 1986.

Yves Chabbert par sa créativité, son calme, son esprit malicieux et très amical, sa droiture et sa franchise laisse, à ceux qui l’ont connu et à toute sa famille, l’image d’un grand scientifique qui a marqué son temps. Il continue à être présent parmi nous, dans nos discussions et nos recherches.  

Titre et surtitres ont été ajoutés par la rédaction du Quotidien du Médecin

Jacques Acar, Professeur émérite de microbiologie à l'Université Pierre et Marie Curie

Source : Le Quotidien du médecin: 9682