20 ans de la loi Kouchner : l'Ordre débat des moyens de mieux la faire vivre sur le terrain

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Publié le 29/03/2022

Crédit photo : S.Toubon

La loi Kouchner a profondément et salutairement modifié la relation médecin-patient, mais sa mise en pratique doit plus que jamais être améliorée dans un contexte où le temps médical manque et où le numérique prend son ampleur. Tel est le constat sur lequel se sont accordées plusieurs personnalités de la santé, à l'occasion d'un débat organisé par le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom), ce 29 mars.

« La médecine n'est pas une science exacte, elle comporte des zones grises. Cette loi explicite notre marge de discussion et de décision, qui s'est réduite à juste titre : nous ne pouvons pas décider sans débattre avec la personne concernée », a remis en perspective le Pr Joseph Gligorov (Sorbonne, département d’oncologie médicale à l’hôpital Tenon, AP-HP). La loi du 4 mars 2002 consacre en effet le principe du consentement libre et éclairé, le droit d'accéder à ses informations pour un patient, le rôle de la personne de confiance, ou encore la représentation des usagers au sein des structures de santé. « Fruit d'une longue évolution marquée notamment par les combats des associations, elle a permis de formuler de manière positive les droits des malades », a ajouté Claude Evin, qui en fut le rapporteur.

Plaidoyer pour le compagnonnage

Pourtant, elle reste méconnue dans ses détails, révèle une enquête menée par le Cnom à l'initiative de la Dr Claire Siret, présidente de la commission des relations avec les associations de patients et d’usagers du CNOM, auprès de 1 046 médecins et 930 patients. Plus de la moitié de ces derniers (54 %) ne la connaissent pas et 6 % des médecins avouent leur ignorance. Quand bien même les principes sont connus en théorie, leur application fait parfois défaut : « Un généraliste vient de donner une lettre à ma mère à l'intention d'un autre professionnel de santé, mais en la fermant avec son cachet. Or la patiente a le droit de savoir ce qu'un médecin pense de son état : c'est ça, le droit à l'information », a illustré Claude Evin.

Pour combler le hiatus entre théorie et pratique, l'une des pistes est de renforcer la formation. Mais pas n'importe comment. « Beaucoup d'informations sont déjà à notre disposition. Il faut surtout du compagnonnage : que les plus anciens accompagnent les jeunes sur le terrain et prennent le temps d'échanger autour des situations compliquées », a estimé le Pr Gligorov. « Le problème est que dans nos stages, les visites des seniors ne sont pas quotidiennes ; internes, il nous arrive de nous retrouver seuls la nuit. J'ai eu beau apprendre la loi à l'université, aux urgences, il faut reconnaître que le colloque singulier est mis à mal, faute de moyens », répond en écho le Dr Lucas Reynaud, urgentiste, membre du Syndicat des jeunes médecins – Aura. Et tous de s'accorder sur l'importance d'avoir du temps pour ces missions qui in fine, profitent à la relation médecin-patient. « Cette perte du temps médical est décriée tant par les patients que les médecins dans notre enquête », observe la Dr Siret.

Patients et médiateurs

En outre, la formation des professionnels de santé aurait tout intérêt à s'enrichir du regard et de la présence des patients experts, un mouvement qui commence à se développer dans les facultés, ont insisté les participants du débat, comme Gérard Raymond. Le président de France Assos santé appelle plus largement à une réorganisation du système de santé pour favoriser le dialogue entre « sachant scientifique et sachant profane » : « La médecine solitaire a vécu : d'autres personnes sont présentes autour du médecin pour connaître la vie de la personne, ses représentations et peurs », estime-t-il. Les représentants des usagers permettent aussi de faire vivre la démocratie sanitaire. « La voix des médecins et des patients peut peser sur des décisions d'établissements, souvent prises à l'aune de critères économiques », encourage la Pr Gligorov.

Plus largement, la réorganisation du système de santé espérée doit renforcer la confiance des citoyens. « L'éducation sanitaire est fondamentale pour rassurer sur le système de santé que nous devons bâtir tous ensemble », poursuit le Pr Gligorov. Dans le même objectif, Claude Evin considère, lui, que la loi Kouchner pourrait être reprise sur un point : celui de la conciliation lors d'un différent entre patient et malade. « La relation médecin-patient n'est pas de type commercial. Or quand la confiance est rompue, nous n'avons pas de procédure ; il faut inventer de nouveaux mécanismes de médiation pour la retrouver, avec des médiateurs neutres et indépendants pour renouer le dialogue », estime-t-il.

La relation médecin-patient est enfin retravaillée par la place grandissante du numérique, en toute ambivalence, ont souligné les participants du débat. Si « mon espace santé » consacre le droit du patient à livrer ses informations aux professionnels de santé (et non l'inverse), comme le souligne Gérard Raymond, des inquiétudes pointent autour du secret médical, mais aussi de l'harmonisation et de la simplification des outils. « Le numérique ne change rien à votre responsabilité en tant que médecin mais dans la mesure où un média s'interpose entre vous et votre patient, vous avez de nouvelles obligations : celles de recourir à des plateformes garantissant la sécurité et la confidentialité des messages », a averti Lina Williatte, avocate au Barreau de Lille, vice-présidente de la Société française de santé digitale. « La loi Kouchner doit donc être toujours mieux appliquée et transposée au mieux au domaine numérique. Mais c'est possible, car les médecins et patients que nous avons sondés souhaitent qu'elle perdure », conclut la Dr Siret. 


Source : lequotidiendumedecin.fr