Pharmacovigilance

Androcur et risque de méningiome : la forte relation dose-effet mise au jour par Epi-Phare

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Publié le 19/02/2021
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Le groupe scientifique ANSM/Cnam Epi-Phare a publié dans le « British Medical Journal » les résultats de la cohorte française qui ont conduit à restreindre les indications de l'acétate de cyprotérone en France et en Europe.
Les risques, absolus et relatifs, varient selon les localisations anatomiques des méningiomes

Les risques, absolus et relatifs, varient selon les localisations anatomiques des méningiomes
Crédit photo : Phanie

Les autorités sanitaires en ont déjà tiré les enseignements. La forte relation dose-effet entre l'acétate de cyprotérone (Androcur) et le risque de méningiome, communiquée sans attendre en 2018, vient d'être publiée dans le « British Medical Journal ».

C'est à partir d'une cohorte de 253 777 Françaises traitées par l'anti-androgène entre 2007 et 2015 que le groupe d'intérêt scientifique Epi-Phare de l'Agence du médicament (ANSM) et de la Caisse nationale de l'Assurance-maladie (Cnam) a sonné l'alarme. L'analyse préliminaire a ainsi conduit la France dès 2018, puis l'Europe en février 2020, à restreindre les indications du médicament.

L'étude réalisée à partir du système national des données de santé (SNDS) confirme que l'utilisation de fortes doses d'acétate de cyprotérone (25 à 50 mg/jour) est associée au risque de méningiome traité par chirurgie ou radiothérapie (critère principal de jugement) : le chiffre est à hauteur de 4 pour 1 000 personnes-années dans le groupe traité pendant 10 à 30 ans. La publication a été enrichie d'un volet spécifique chez 108 676 sujets transgenres (hommes en voie de féminisation), qui utilisent cette molécule à très forte dose.

Dans ce travail, les chercheurs ont comparé le groupe exposé (défini par une dose cumulée ≥ 3 g pendant les six premiers mois), totalisant 139 222 femmes, au groupe contrôle (dose cumulée < 3 g), composé des 114 555 autres participantes. Le r isque était multiplié par cinq ou six chez les exposées, voire par 60 pour celles ayant une dose cumulée de plus de 60 g. Après l'arrêt du traitement, le risque diminue fortement.

Chez les transgenres, l'incidence dans la population exposée était de 20,7 pour 100 000 personnes-années (soit trois personnes) contre zéro dans le groupe témoin. « Ces trois personnes atteintes de méningiome, qui ont nécessité une intervention chirurgicale, étaient celles qui prenaient des doses quotidiennes très élevées de 100 à 150 mg/jour pendant des périodes d'exposition relativement courtes de 3 à 4,5 ans », souligne le Dr Alain Weill, directeur adjoint d'Epi-Phare et premier auteur de l'étude

Cinq arguments pour la causalité

De plus, il apparaît que les risques, absolus et relatifs, variaient considérablement selon les localisations anatomiques des méningiomes. « En particulier, ceux de la base antérieure du crâne avec un risque 47 fois plus élevé par rapport aux autres sont survenus chez les patients avec une utilisation prolongée de l'acétate de cyprotérone », rapporte le chercheur d'Epi-Phare. Or, la chirurgie du méningiome de la base du crâne est « l'une des plus difficiles et associée à un risque beaucoup plus élevé que celle d'une tumeur de convexité », souligne-t-il.

La discussion soutient un lien de causalité entre exposition et risque de méningiome, « bien que le mécanisme biologique exact ne soit pas encore connu avec exactitude », poursuit l'épidémiologiste. Cinq explications viennent ainsi étayer l'hypothèse : « l'ampleur élevée du risque, la mesure d'une forte relation dose-effet, la diminution du risque après arrêt d'utilisation et la localisation anatomique préférentielle des méningiomes, précise le Dr Weill. De plus, la présence de récepteurs de progestérone dans le tissu arachnoïdien, à partir desquels les méningiomes proviennent, est connue ».

A.Weill et al. BMJ, 2021. doi.org/10.1136/bmj.n37

Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du médecin