Artériopathies des membres inférieurs

Du nouveau dans la prise en charge

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Publié le 21/06/2018
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artéritiques

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Crédit photo : Phanie

En France, de 850 000 à 1 million de personnes souffrent d’artérite oblitérante des membres inférieurs (AOMI). Ces patients, polyvasculaires dans 60 % des cas, plus âgés que les coronariens, présentent des occlusions des artères au diamètre deux fois plus important que celui des coronaires (6-7 mm vs 3 mm). Ils sont à haut risque cardiovasculaire, et ont un pronostic plus sévère que ceux atteints de cardiopathie coronaire ischémique isolée.

Un pronostic altéré dès le stade asymptomatique

Dépister les patients asymptomatiques est un challenge. « Mesure de l’IPS, recherche de perte de pouls et de souffle vasculaire…, il faut être proactif avec les patients présentant des facteurs de risque d’artérite (diabète, tabac, âge, insuffisance rénale chronique, HTA, cholestérol), en particulier avec ceux, à très haut risque, qui associent diabète, insuffisance rénale et tabac », souligne le Pr Messas.

La prise en charge repose sur le contrôle des facteurs de risque (l’arrêt du tabac est impératif), les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), quel que soit le niveau tensionnel, et les statines, quel que soit le niveau de cholestérol. « Les antiagrégants plaquettaires ne sont pas indiqués dans ce groupe en absence de preuve de bénéfice », précise le spécialiste (2,3).

Plus de 50 % des patients asymptomatiques ont des lésions coronaires, mais l’indication à la réalisation d’une coronarographie reste guidée par la clinique (angor, dysfonction ventriculaire gauche, épreuve d’effort positive).

Quel traitement chez les symptomatiques claudicants ?

Si les lésions vasculaires sont aorto-iliaques, la prise en charge des patients claudicants est le plus souvent interventionnelle (stent ou pontage). En revanche, si elles se situent en aval de l’aine, la prise en charge sera médicale : arrêt du tabac (aide au sevrage), réentraînement à l’effort et trithérapie (IEC, statine, antiagrégant plaquettaire), avec pour cible thérapeutique un LDL inférieur à 0,7 et une PA inférieure à 14/9 mmHg. Si malgré cette stratégie le patient reste symptomatique, on peut envisager une revascularisation, se situant le plus souvent en fémorale superficielle ou poplitée.

Jusqu’ici, l’aspirine (75 ou 100 mg/j) était l’antiagrégant plaquettaire de 1re intention (le clopidogrel en cas d’intolérance à l’aspirine). Les recommandations 2017 de la Société européenne de cardiologie remettent le clopidogrel en 1re ligne, suivant en cela les résultats de certaines méta-analyses qui mettent en avant un meilleur rapport bénéfice-risque (4).

En règle générale, seulement de 10 à 15 % des patients résistent au traitement médical bien conduit et nécessitent une revascularisation. « Il s’agit de bien peser l’indication de revascularisation : si elle se complique, le patient risque l’ischémie critique, parfois même l’amputation ! De même, l’arrêt du tabac est impératif. Il fait courir un risque majeur de réocclusion qui peut faire basculer de la claudication à l’ischémie critique », souligne le Pr Messas.

La présence d’un IPS supérieur à 0,9 est associée à un doublement des événements coronaires, de la mortalité cardiovasculaire et de la mortalité totale à 10 ans. À 5 ans, 20 % des patients claudicants font un infarctus ou un AVC et ont une mortalité de 10 à 15 % (2). « Un registre du service révèle une mortalité totale deux fois plus importante que cardiovasculaire (notamment par infection et cancers). D’où l’intérêt de rechercher un cancer lié au tabac », indique le Pr Messas.

Et en cas d'ischémie critique chronique ?

La règle est la revascularisation maximale « de la tête aux pieds ». Le risque est local, avec l’amputation, et général, avec une augmentation du risque d’infarctus du myocarde ou d’AVC par rapport au patient claudicant. En cas de troubles trophiques, le score WIfI (wound, ischemia, foot infection) aide à évaluer le risque d’amputation et l’intérêt à revasculariser (5).

Après revascularisation par stent, un double traitement antiplaquettaire par aspirine et clopidogrel est recommandé.

Et les études récentes ? EUCLID, sur 14 000 patients artéritiques, montre que le ticagrélor à 2 x 90 mg/j n’est pas supérieur au clopidogrel à 75 mg/j (6). Compass, sur 7 000 artéritiques, montre la supériorité de l’association aspirine + rivaroxaban à 2 x 2,5 mg/j versus l’aspirine seule, et versus le rivaroxaban seul à 2 x 5 mg/j : moins d’amputations, de revascularisations, d’ischémies aiguës, au prix d’un surrisque d’hémorragies non sévères non fatales (7).

En cas d’anticoagulation au long cours, par exemple pour fibrillation atriale, les recommandations précisent quel traitement antithrombotique choisir en fonction du patient et du risque hémorragique.

Les patients artéritiques forment l’un des groupes de manifestation clinique de la maladie athérothrombotique les plus à risque d’événements cardiovasculaires locaux et généraux. Ils ont bénéficié ces dernières années d’avancées pharmacologiques et interventionnelles qui ont profondément modifié leur prise en charge, rendant indispensable la détection en pratique clinique de l'AOMI.

D'après un entretien avec le Pr Emmanuel Messas, spécialiste en pathologies cardiovasculaires et chef de service de médecine vasculaire à l’hôpital européen Georges Pompidou (Paris)
(1) Eur Heart J, 2018 Mar;39(9):763-816
(2) Fowkes FG et al. JAMA 2010 Mar;303(9):841-8
(3) Belch J et al. BMJ 2008;33:a1840
(4) Katsanos K et al. PLoS One 2015 Aug;10(8):e0135692
(5) Mills JL Sr et al. J Vasc Surg 2014 Jan;59(1):220-34.e1-2
(6) Hiatt WR et al. N Engl J Med 2017 Jan;376(1):32-40
(7) Eikelboom W et al. N Engl J Med 2017 Oct;377(14):1319-30

Dr Sophie Parienté

Source : Bilan Spécialiste