Troubles bipolaires et addictions

La double peine

Publié le 13/12/2018
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Crédit photo : KTSDESIGN/SPL/PHANIE

bipolaires

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Reconnus en 2001 par l’Organisation mondiale de la santé comme la septième des maladies les plus invalidantes, les troubles bipolaires (TB) ont un coût financier considérable. Mais leur coût humain, à l’échelle des personnes qui en souffrent, est malheureusement tout aussi lourd : en moyenne, ils perdent 9 ans d’espérance de vie, 12 ans de vie en bonne santé et 14 ans de fonctionnement personnel satisfaisant (notamment sur le plan professionnel).

Un pronostic grevé par les comorbidités

La sévérité de la maladie bipolaire s’explique en partie par sa très haute comorbidité. Elle est maladie mentale la plus souvent associée aux addictions. Le risque d’addiction serait multiplié par 5,8 chez les patients bipolaires par rapport à la population générale, et par 2,3 en comparaison aux autres pathologies psychiatriques. La prévalence des addictions serait similaire entre les TB de type 1 et ceux de type 2. Les patients auraient un des plus hauts taux de tabagisme et un des plus faibles taux de succès au sevrage. Les addictions comportementales seraient également surreprésentées : un bipolaire sur dix présenterait une addiction aux jeux d’argent.

Pour les patients souffrant de TB, les facteurs de risque de développer un trouble lié à l’utilisation d’une substance (TLUS) ont été identifiés, au premier rang desquels le sexe masculin, un début précoce (avant 21 ans) du trouble bipolaire, un nombre élevé d’hospitalisations, le nombre d’épisodes maniaques et les antécédents suicidaires.

Parallèlement, une personne souffrant d’un TLUS aurait des risques plus élevés de développer un TB.

Une association non encore réellement expliquée

Ces observations appellent naturellement la recherche de raisons, si ce n’est de liens causaux, qui permettraient d’expliquer l’importance de cette association entre les TB et les TLUS. À défaut d’un mécanisme physiopathologique précis, plusieurs hypothèses ont été avancées.

La première, qui a souvent bonne presse parmi les soignants (et les soignés), est celle de « l’automédication » du TB avec les substances. Une autre hypothèse est que le TLUS agirait comme un révélateur de la vulnérabilité au TB, favorisant l’éclosion de la maladie bipolaire sans avoir de lien étiologique stricto sensu. À l’inverse, on pourrait considérer que le TLUS est un symptôme ou une conséquence du TB.

L’approche neurodéveloppementale des deux troubles est sans doute une voie qui mérite d’être davantage explorée. Dans cette perspective, la recherche de biomarqueurs cérébraux est en cours.

Enfin, un trait psychopathologique et comportemental semblerait jouer un rôle pivot dans l’association des TB et des TLUS : l’impulsivité (lire aussi p. 9).

Un travail en binôme avec les addictologues

Les TLUS aggravent le pronostic des TB. On a par exemple observé un plus faible taux de rémission du TB à 24 mois chez les patients fumeurs de cannabis. Par ailleurs, le cannabis et l’alcool augmentent le risque de tentative de suicide chez les patients bipolaires, et l’alcool le risque de suicide abouti. Les addictions augmentent aussi de manière générale le taux de mortalité des patients bipolaires.

La maigreur des recommandations thérapeutiques et des études sur la prise en charge des patients souffrant d’un TB et d’un TLUS est une difficulté à laquelle les prescripteurs sont confrontés. Une collaboration entre équipes psychiatrique et addictologique semble un des axes majeurs à développer dans le parcours de soins du patient. Associer, à la prise en charge médicamenteuse, la psychoéducation aux thérapies motivationnelles et cognitivo-comportementales est indispensable dans le cas d’une comorbidité TB-TLUS (lire aussi p. 12).

Le travail sur la conscience des troubles et le déni, sur l’observation thérapeutique et la motivation à l’abstinence est capital. Au centre de cette prise en charge et du dispositif de soins, il est important de prévoir l’intégration et l’accompagnement des aidants.

 

Un travail sur le déni et la motivation à l’abstinence doit être réalisé

Psychiatre, coordinateur médical de la clinique du Château - Nightingale Hospitals Paris (Garches), praticien attaché au SHU du CH Sainte-Anne (Paris), rédacteur en chef de la revue L’Encéphale 

Hunt GE et al. J Affect Disord. 2016 Dec;206:331-349

Messer T et al. Psychiatry Res 2017 Jul;253:338-350

Dr Marc Masson
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Source : Bilan Spécialiste