Artériopathies périphériques

L’étude COMPASS et les recommandations 2017 redessinent la stratégie thérapeutique

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Publié le 07/09/2017
artérite

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Crédit photo : Phanie

Si l’an dernier l’étude EUCLIDE (comparant le ticagrélor au clopidogrel), avait déçu en se révélant négative, cette année l’étude COMPASS représente une avancée importante dans le domaine de l’artériopathie périphérique (AP), où aucun essai positif n’était apparu depuis 20 ans.

Étude COMPASS : un bénéfice positif avec la bithérapie rivaroxaban/aspirine

Avec 27 395 patients inclus, cet essai de phase III comparait trois groupes de patients traités soit par aspirine, soit par rivaroxaban à faible dose (5 mg 2 fois/jour), soit par aspirine associée au rivaroxaban (2,5 mg 2 fois/jour). L’association rivaroxaban/aspirine a montré, par rapport à l’aspirine seule, un bénéfice non seulement en termes de réduction du risque d’AVC (42 %) et de mortalité cardiovasculaire (22 %) mais aussi en termes de mortalité totale (18 %). Dans le sous-groupe de patients présentant des artériopathies (7 470 patients dans l’étude COMPASS-PAD), une réduction de 46 % du risque d’évènements périphériques indésirables majeurs (MALE) et de près de 50 % du risque d’amputations, a été observée avec l’association (versus aspirine seule). « Cependant, cette bithérapie qui inhibe les plaquettes et la coagulation, est associée à un risque accru de saignements. Au regard du rapport bénéfice/risque, l’utilisation de cette bithérapie est globalement bénéfique (28 % de bénéfice net) », précise le Pr Aboyans (CHU Limoges).

« En pratique, une démarche aux niveaux des instances réglementaires, européenne et américaine, est d’abord nécessaire pour autoriser ce traitement spécifiquement dans l’AP des membres inférieurs (APMI). Si l’autorisation est obtenue en Europe, le clinicien devra ensuite évaluer, pour chaque patient, le risque hémorragique et le rapport bénéfice/risque de cette bithérapie. Des études secondaires par sous-populations et des analyses plus fines sur le risque hémorragique des patients devraient à l’avenir apporter des éléments essentiels pour intégrer en pratique clinique cette stratégie thérapeutique ».

« En effet, au-delà des résultats de l’essai COMPASS présentés, nous avons besoin d’affiner les données pour savoir si le bénéfice/risque entre réduction des évènements ischémiques et l’excès de saignements est équivalent dans les différents groupes de patients artériopathes. Ces patients ont un risque de saignements plus élevé car il s’agit souvent de sujets âgés avec des comorbidités associées. Les extrapolations faites à partir de patients coronariens sont donc difficiles à appliquer ».

En raison d’un problème de timing, cette étude n’a cependant pas été prise en compte dans les recommandations 2017 sur les AP présentées lors du congrès.

Recommandations 2017 sur les AP : une stratégie au cas par cas

Concernant les APMI, la place entre les gestes endovasculaires et la chirurgie ouverte a bien été clarifiée. Avec davantage de recul que les recommandations 2011, ces nouvelles recommandations indiquent les différentes options à suivre dans chaque cas spécifique.

Elles permettent également de mieux stratifier, chez les patients ayant une AP des plus sévères, le risque d’amputation. « Dans ce cas, on parle dorénavant d’ischémie chronique menaçante, avec un risque vital pour le membre inférieur (MI) ».

« À part l’ischémie seule, d’autres aspects doivent être intégrés pour évaluer le risque d’amputation chez ces patients. En effet, la présence d’ulcère et le risque d’infection sont des facteurs aggravants à prendre en compte. Ainsi, chez ces patients avec une ischémie critique, il ne faut pas seulement s’occuper de l’aspect ischémique mais il est également nécessaire de recourir à une prise en charge locale, en termes de cicatrisation et de lutte contre l’infection ».

Dans les AP moins sévères et asymptomatiques, le risque cardiovasculaire (CV) est néanmoins augmenté. Les patients doivent bénéficier de toute la prévention CV secondaire proposée en cas de maladie artérielle. « Des patients asymptomatiques développent parfois très rapidement un ulcère des MI, un tableau d’ischémie critique ou d’ischémie aiguë des MI. Cette situation catastrophique peut aboutir à une amputation. Différentes raisons peuvent expliquer que les patients ne souffrent pas de leur AP très sévère : incapacité à marcher suffisamment pour ressentir les premiers stades d’ischémie d’efforts, troubles de la sensibilité… Il s’agit alors d’artériopathie cachée ». Donc avant même de demander si un patient a des douleurs à la marche, il faut s’assurer que le patient marche (suffisamment) et qu’il ne souffre pas de troubles de sensibilité (neuropathies).

Concernant la prise en charge des sténoses carotidiennes, les recommandations évoluent également. « Dès qu’un patient déclare un AVC ou un accident ischémique transitoire avec une sténose carotidienne supérieure à 50 %, il doit avoir une revascularisation rapide dans les 14 jours. Plus on attend pour intervenir (au-delà de 2 semaines), plus on perd l’intérêt de la revascularisation en raison d’une stabilisation progressive de la situation. Un traitement médical peut alors éventuellement suffire au long cours ».

« Dans les sténoses asymptomatiques, nous avons un peu reculé sur les indications de la revascularisation, qui était systématiquement proposée il y a une dizaine d’années. Le traitement médical s’étant développé, tous les patients dans cette situation sont aujourd’hui souvent sous statines, antiplaquettaires ou IEC. Le risque d’AVC étant actuellement plus faible, il n’apparaît plus nécessaire de revasculariser tous ces patients, au risque d’un AVC péri-opératoire ». Fondées sur de nombreuses études, les recommandations dressent ainsi une liste de critères (essentiellement basés sur l’imagerie) permettant d'identifier les patients à plus haut risque d’AVC, chez qui une intervention chirurgicale serait encore indiquée.

Les recommandations 2017 visent également à sensibiliser les cliniciens sur la co-existence chez un même patient d’une AP et d’un risque coronaire, de type insuffisance cardiaque (IC) ou fibrillation atriale (FA). « Des liens physiopathologiques peuvent expliquer l’apparition plus fréquente d’IC et de FA chez les patients artériopathes que dans la population générale. Concernant la FA, la tendance est de mettre les patients sous anticoagulants oraux et d’associer de l’aspirine pour l’APMI. Ceci n’a jamais prouvé une amélioration du pronostic des patients par rapport à une anticoagulation seule (à forte dose). Par contre, l’ajout d’aspirine augmente le risque de saignements. Il n’est donc pas recommandé d’adjoindre l’aspirine aux anticoagulants oraux à doses pleines ».

D’après un entretien avec le Pr Victor Aboyans, chef du service de cardiologie (CHU de Limoges)
Eikelboom J et al. Rivaroxaban with or without aspirin in stable cardiovascular disease, European Society of Cardiology, présentation orale 27 août 2017
Anand S et al. Rivaroxaban in stable peripheral or carotid artery disease, European Society of Cardiology, présentation orale 27 août 2017
Aboyans V. 2017 ESC Guidelines on the Diagnosis and Treatment of Peripheral Arterial Diseases, in collaboration with the European Society for Vascular Surgery (ESVS) - part 1, European Society of Cardiology, présentation orale 27 août 2017 https://academic.oup.com/eurheartj/article-lookup/doi/10.1093/eurheartj…

Karelle Goutorbe

Source : lequotidiendumedecin.fr