Contre la dissémination systémique du microbiote

Une barrière intestino-vasculaire que certaines bactéries peuvent néanmoins franchir

Publié le 19/11/2015
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Chez les personnes en bonne santé, la flore intestinale ne peut accéder au foie

Chez les personnes en bonne santé, la flore intestinale ne peut accéder au foie
Crédit photo : PHANIE

La barrière intestinale joue un rôle majeur dans la santé et la maladie, en limitant la dissémination systémique des microbes et des toxines, tout en permettant aux nutriments d’entrer dans la circulation sanguine. Les substances absorbées au niveau de l’intestin grêle passent dans la veine porte et rencontrent d’abord le foie, qui les métabolise et les détoxifie.

Par contraste, le microbiote intestinal ne peut accéder au foie, tout du moins chez les personnes en bonne santé. Il existe cependant des exceptions ; certaines bactéries, comme les salmonelles, peuvent disséminer vers le foie, la rate et la vésicule biliaire et induire une réponse immune systémique. Il en va ainsi de Salmonella typhimurium, bactérie acquise via l’eau ou les aliments contaminés, et responsable de gastro-entérites.

Dans la revue « Science », une équipe italienne, dirigée par Maria Rescigno (Institut Européen d’Oncologie a Milan), décrit chez la souris et chez l’homme une barrière vasculaire dans l’intestin (barrière intestino-vasculaire) qui contrôle la translocation des antigènes dans la circulation sanguine et interdit l’entrée au microbiote.

À l’instar de la barrière hémato-encéphalique (BHE), cette barrière intestino-vasculaire (BIV) est formée par des cellules endothéliales vasculaires, ainsi que des cellules gliales intestinales (communiquant avec les neurones entériques et les cellules épithéliales intestinales) et des péricytes.

Les chercheurs montrent que la BIV laisse passer librement des molécules de 4kD (kilodalton), soit 8 fois plus grandes que celles pouvant traverser la BHE. « Il en est probablement ainsi parce que la BIV doit permettre le passage de molécules plus larges pour l’exploitation des nutriments et l’induction de la tolérance », proposent les auteurs. Mais la BIV empêche le passage des molécules de 70kD, garantissant ainsi que les bactéries ne puissent entrer dans la circulation sanguine.

Un processus actif

Toutefois l’infection orale chez la souris par la bactérie S. typhimurium perturbe la BIV, qui laisse alors passer les molécules de 70kD dans le sang, vers le foie puis la rate. Ainsi, la dissémination systémique des salmonelles n’est pas simplement due à leur capacité à traverser l’épithélium intestinal mais résulte d’un processus actif à travers l’endothélium.

La bactérie S. typhimurium peut pénétrer la BIV grâce à son système de sécrétion de type III (encodé par le Spi) et son inhibition du signal bêta-caténine dans les cellules endothéliales intestinales, alors qu’inversement elle stimule le signal bêta-caténine dans les cellules épithéliales intestinales pour favoriser sa dissémination. Les auteurs montrent que, dans l’intestin humain (iléon et colon), la BIV peut aussi être perturbée par les salmonelles.

En approfondissant ces mécanismes, des stratégies thérapeutiques pourraient émerger pour prévenir l’infection chronique et la dissémination des salmonelles par les porteurs asymptomatiques. Leurs résultats suggèrent aussi que la perturbation de la BIV pourrait conduire à une atteinte hépatique, notamment dans la maladie cœliaque, entéropathie auto-immune induite par le gluten alimentaire chez des individus génétiquement susceptibles et, qui sait, peut-être aussi dans les maladies inflammatoires intestinales.

Examinant des patients atteints de maladie cœliaque, avec un épithélium intestinal normal après un régime sans gluten, les chercheurs ont constaté une perméabilité élevée de la BIV chez ceux qui présentaient des taux sériques élevés de transaminases (ALT) sans autre cause d’atteinte hépatique, comparés à ceux dont les taux d’ALT étaient normaux.

Science novembre 2015, Spadoni et coll, Bouziat et Jabri
Dr Véronique Nguyen

Source : Le Quotidien du Médecin: 9451