Courrier des lecteurs

700 000 patients en ALD... et alors ?

Publié le 18/04/2023

Le manifeste de notre confrère formulé dans la rubrique courrier des lecteurs (« Le Quotidien du Médecin » du 7 avril) m’a quelque peu interpellé à plusieurs titres.

À son avis, la prise en charge de 700 000 patients en ALD n’est pas une « épreuve » démesurée. Il est vrai que les arguments développés incitent à avoir la même réaction que ce charmant collègue.

Cependant, on oublie plusieurs points :

1) Tout d’abord, la répartition des patients en ALD n’est pas nécessairement uniforme, et il est fort à parier que nombreux sont ceux qui vivent dans une zone sous-médicalisée (banlieues, campagnes très reculées) et qu’ils sont importants en nombre dans certaines parties du territoire. De ce fait, les généralistes les plus proches ne peuvent pas absorber un flux, non pas de trois patients supplémentaires, mais bien plus !

Et il est impossible de dire non…

Or, ces confrères déjà au bord du burn-out, et souvent très frustrés de voir que leur situation professionnelle n'est pas valorisée et prise en compte par les médias (jamais un seul journaliste n’accepte de décrire les difficultés des généralistes en secteur rural), ne vont, par conséquent, faire aucun effort pour accepter des patients supplémentaires.

De plus, lorsque nous nous occupons d'un patient non accepté en ALD, nous devons aussi nous occuper des autres membres de la famille (et il est impossible de dire non à l’épouse, aux enfants et parfois aux grands-parents dès lors que le patient en ALD est pris en compte).

2) Les pouvoirs publics souhaitent que 700 000 patients soient pris en charge par un médecin traitant, mais nous oublions trop facilement le fait qu’un nombre très important de citoyens sans ALD n’ont pas de médecin traitant.

Cette situation est dramatique

Or parmi ces personnes sans médecin traitant, certaines devraient avoir des soins urgents car il est possible que certains présentent sans le savoir un diabète ou une coronaropathie. Ces patients, las de ne pas trouver de professionnel de santé, ont pris la décision de ne pas se soigner. Ils se résignent et acceptent leur sort que les énarques oublient de reconnaître.

Cette situation est dramatique car les pouvoirs publics, du fait d’une décision impartiale (on resserre les mailles du filet des patients VIP), laissent sur le bord de la route des patients (certains d’entre eux sont des contribuables) qui n’ont pas un accès aux soins.

3) Les patients en ALD ont nécessairement eu antérieurement un contact avec un professionnel de santé (ils ne sont pas en ALD par la volonté du Saint-Esprit) car leur dossier d’ALD a été complété par un médecin quelle que soit sa spécialité. Dans certains cas, le médecin ayant effectué cette demande est retraité, ou refuse d’être médecin traitant car il s’agit d’un autre spécialiste que la médecine générale.

Dans notre inventaire à la Prévert

À une certaine époque, les demandes d’ALD devaient être effectuées nécessairement par le médecin traitant, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Nous oublions dans notre inventaire à la Prévert une classe de patients qui ne sont pas pris en charge par un professionnel de santé. Ce sont ceux :

- qui sont en marge de la société, et refusent tout contact avec un médecin. Ces personnes ont obtenu cette reconnaissance dans un établissement psychiatrique le plus souvent ;

- qu’aucun praticien ne souhaite prendre en charge car trop chronophages du fait d’une hypocondrie ou parfois un manque de civilité à l’égard des médecins.

Une espérance de vie limitée

4) Les médecins généralistes libéraux travaillent pour la plupart d’arrache-pied, et sont souvent confrontés à des populations qui viennent les narguer car ils sont devenus des retraités dès l’âge 55 ans. Ces patients en très bonne forme, et qui auraient pu continuer leur activité professionnelle se moquent pertinemment du fait que leur médecin traitant va travailler jusqu’à 67 ans et touchera la même somme qu'eux en tant que retraité.

Ce qui est le plus difficile à admettre, c’est le fait qu’en arrivant à l’âge de la retraite, les médecins généralistes auront une espérance de vie limitée, et ce d’autant plus qu’ils seront éreintés du fait d’une charge de travail excessive.

De plus, nombreux sont les confrères qui prennent conscience du fait que ces personnes, souvent très arrogantes, peuvent jouir d’une retraite à taux plein grâce au concours financier des deniers publics. Or les deniers publics, ce sont les impôts de tous les professionnels de santé. Aussi, alors qu’ils œuvrent au-delà de 50 heures par semaine, il n’est pas logique de demander plus à ceux qui donnent déjà beaucoup !

Voilà, cher confrère, certains repères qui peuvent aider à mieux comprendre pourquoi les libéraux sont excédés et ne veulent pas recevoir ces patients en ALD.

 

Vous souhaitez vous aussi commenter l'actualité de votre profession dans « Le Quotidien du Médecin » ? Adressez vos contributions à aurelie.dureuil@gpsante.fr

 

Dr Pierre Frances médecin généraliste Banyuls-sur-Mer (66)
ALD

Source : Le Quotidien du médecin