Une étude dans deux départements en 2018

Face à l'annonce d'une plainte ordinale, les praticiens sous le choc

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Publié le 15/11/2019
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Angoisse, culpabilité, colère : une étude conduite en Isère et en Savoie montre l'impact délétère de l'annonce d'une plainte ordinale, souvent vécue comme un traumatisme par le médecin concerné

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Des sentiments de « stress, colère, surprise et culpabilité » : l'annonce d'une plainte ordinale a souvent l'effet d'une bombe pour les praticiens visés, illustre une étude inédite. 

Dans le cadre du DIU « Soigner les soignants », les Drs Sophie Perrin et Jean-Louis Vangi, généralistes et membres des CDOM Isère et Savoie (conseil départemental de l'Ordre des médecins), ont analysé le vécu et l'impact personnel et professionnel pour un médecin d'une plainte ordinale. Ils ont conduit des entretiens téléphoniques auprès de 73 médecins de ces deux départements* ayant reçu une notification de plainte ordinale en 2018 (principalement des généralistes libéraux et des chirurgiens). Pour les trois quarts des praticiens, il s'agissait d'une première plainte – le plus souvent déposée par un patient (80 %) mais parfois aussi par un autre praticien (20 %).

Blessure durable

Premier enseignement : la mise en cause par courrier recommandé, perçue comme trop formelle et brutale, est « réellement vécue comme un traumatisme » malgré l'écoute bienveillante des proches et des confrères. « Au moment de la réception de ce courrier, la majorité des ressentis a été le stress, la colère, l'incompréhension, la culpabilité, la tristesse, l'échec et la solitude », énumère le Dr Perrin. Le vécu négatif est minoré ou majoré selon le motif du contentieux, l'âge ou l'expérience. Le déroulement de la procédure est inconnu pour deux tiers des confrères visés, ce qui renforce l'angoisse.

Selon l'étude, les conséquences émotionnelles de la plainte ont « duré dans le temps », se traduisant par de l'anxiété et des troubles du sommeil nécessitant parfois un recours thérapeutique ou psychologique. Les deux auteurs pointent surtout les conséquences physiques et psychiques plus graves. « Trois médecins (du panel) ont eu ou ont encore des idées suicidaires, un a déclaré avoir fait une dépression sévère dont il garde des séquelles. Deux autres médecins ont été en arrêt de travail, un autre a été hospitalisé en clinique psychiatrique dès la réception de la plainte, deux médecins ont pris leur retraite et un a démissionné. Plusieurs ont eu recours à un traitement anxiolytique et antidépresseur », détaille le Dr Sophie Perrin. 

Cette souffrance tranche avec l'aide effective demandée – le médecin traitant ou le médecin du travail étant rarement consultés. La grande majorité des généralistes connaissent les réseaux d'aide aux soignants mais, selon l'étude, « aucun ne les a contactés ».

Explications 

Dans ce contexte, les Drs Perrin et Vangi recommandent de faire évoluer la procédure d'annonce (sans l'entacher d'irrecevabilité). Parmi les pistes : le fait de contacter par téléphone le médecin visé, d'inclure le contact d'un référent dans le courrier et de donner davantage d'informations sur la procédure de la plainte ordinale. « 85 % des médecins pensent qu'un contact ou un courrier explicatif pour prévenir la plainte à venir les auraient beaucoup aidés », commente le Dr Vangi. Autre piste régionale : mieux faire connaître l'aide aux soignants de Rhône-Alpes (ASRA).

En France, entre 2010 et 2017, plus de 1 200 praticiens ont été traduits chaque année devant une chambre disciplinaire de première instance (CDPI). En comptant les accords en conciliation, les auteurs estiment qu'environ 2 500 médecins font l'objet d'une plainte ordinale par an. Le traitement d'une plainte dure en moyenne une année de la réception du courrier recommandé jusqu'au jugement. En cas d'appel au national, la procédure peut être rallongée d'une année (400 médecins concernés chaque année en moyenne). En cas de condamnation, la sanction peut aller de l'avertissement ou blâme jusqu'à l' interdiction d’exercice (avec ou sans sursis) et la radiation du tableau de l’Ordre.

*Entretiens menés auprès de 56 praticiens en Isère et 17 en Savoie. La moyenne d'âge des médecins interrogés est de 52 ans en Isère et 57 ans en Savoie. La majorité a un exercice libéral en médecine générale et est de sexe masculin. 

Sophie Martos

Source : Le Quotidien du médecin