Le simple oubli comme explication
Ponctuellement, le patient peut tout simplement oublier de prendre son médicament. Ceci peut s’expliquer parce que son attention est détournée par une autre occupation (et on comprend que le comprimé de midi soit le plus souvent oublié), ou bien parce que la prise du comprimé n’est pas inscrite dans un rituel : il faut se méfier des médicaments, de plus en plus nombreux dans l’avenir, qui sont pris une fois par semaine.
› Pour lutter contre cette cause triviale de non-observance, on peut proposer trois pistes :
- Faire appel à un rituel, comme par exemple mettre les boite de médicaments à côté de la table du petit-déjeuner : l’habitude est un puissant moteur à accomplir les tâches répétitives (8).
- Pour les prescriptions hebdomadaires, préciser sur l’ordonnance le jour de la prise du médicament, car le caractère précis d’une instruction aide à sa mémorisation (9) : médicament x, 1 comprimé une fois par semaine, le samedi matin.
- Pour les polymédications, souvent mises en œuvre notamment chez les personnes âgées qui peuvent ne pas avoir une mémoire optimale, utiliser les piluliers qui organisent la prise médicamenteuse : ils auront aussi l’avantage d’aider le patient à se rappeler s’il a, ou non, pris le médicament.
Mais le simple oubli ne saurait, évidemment, résumer les causes de la non-observance.
Pourquoi se soigne-t-on ?
› Chaque geste thérapeutique (prendre un comprimé, marcher 30 minutes, manger un fruit et un légume, venir à une consultation etc.) est une action. D’une manière générale, nos actions ont des raisons, qui sont composées d’états mentaux comme des connaissances, des compétences, des croyances, des émotions, des sentiments comme le plaisir ou une douleur, et surtout des désirs ; par ailleurs, il est nécessaire que nous disposions des ressources nécessaires. Ce modèle explicatif de l’action (voir Figure 1), que nous avons élaboré en réfléchissant aux raisons qui font que l’on se soigne (10), permet aisément d’expliquer certaines causes de la non-observance : le patient ne sait pas ce qu’il doit faire, comment le faire, a peur de le faire, n’a pas les moyens de le faire, ou surtout n’a pas envie de le faire, ou même, il peut refuser de le faire ; autre exemple : la douleur ressentie lors de la piqûre du bout du doigt le décourage de pratiquer l’autosurveillance glycémique.
› Il faut insister sur le rôle des émotions et des croyances. Concernant les émotions, on peut évoquer, par exemple, la peur de l’hypoglycémie ou de la prise de poids dans la mauvaise observance aux injections d’insuline, le sentiment de honte que ressent cet adolescent diabétique à l’idée de devoir sortir son stylo d’insuline devant ses pairs. À l’inverse, les émotions peuvent conduire à l’observance : la peur ressentie à l’annonce de la découverte d’un premier micro-anévrysme au fond d’œil peut conduire le patient à se soigner. En effet, les émotions, qui surviennent en réponse à des événements (voir Figure 1), conduisent à une révision de nos désirs et de nos croyances (11).
Or ces dernières ont un rôle déterminant dans la genèse de nos actions (12), beaucoup plus que les connaissances et les compétences, qui ont plutôt un rôle instrumental : ce n’est pas parce que je connais le code de la route et que je sais conduire que je prends ma voiture (bien entendu, je dois savoir conduire). Dans le cas de la non-observance, il faut insister sur le rôle de ce qu’on appelle les fausses croyances (13) qui sont souvent cause de non-observance (voir encadré E1).
E1. Des exemples de fausses croyances responsables de non-observance :
• Si vous prenez le médicament trop souvent, vous devenez résistant
• vous devenez dépendant
• le médicament ne fait rien
• ils essaient de m’empoisonner
• Dieu guérira ma maladie
• ces complications n’arrivent qu’aux autres
• comment saurais-je que j’en ai besoin si je continue à prendre ces comprimés ?
• chez moi rien ne marche
› Mais le véritable moteur qui conduit à l’observance ou la non-observance est le désir : comme on le voit sur la Figure 1, c’est le couple désir-croyance qui cause l’action : je désire rester en bonne santé et je crois que faire de l’exercice contribuera à faire en sorte que mon désir soit exaucé ; ce couple désir-croyance cause le fait que je me suis inscrit au club de gym. Ce mécanisme mental de l’action (14) peut être utilisé pour expliquer la non-observance thérapeutique (15), par exemple celle de cette patiente qui saute les injections d’insuline : elle désire perdre du poids et croit que ne pas injecter l’insuline prescrite lui fera perdre du poids.Enfin, ce modèle des mécanismes mentaux qui conduisent à l’observance ou à la non-observance permettent de comprendre les sites possibles de l’éducation thérapeutique (voir Figure 1). La première étape de celle-ci procède de ce que l’on appelle le diagnostic éducatif (16). Il s’agit d’appréhender ce que le patient sait, sait faire, comprend, ce qu’il lui reste à apprendre. Mais, au-delà de ces aspects cognitifs, il est important de se placer dans une perspective plus globale, explorant les émotions dun patient ainsi que ses ressources (voir encadré E2). L’abord des désirs du patient et sa volonté de les mettre en oeuvre correspond à ce qui est souvent appelé « interview motivationnel » (17).
E2. Le diagnostic éducatif
• Connaissance : que sait-il ?
• Compétences : que sait-il faire ?
• Croyance : que croit-il ?
• émotion: que craintil, de quoi a-t-il honte ?
• événements : qu’est-il arrivé récemment??
• Désir : que souhaite-t-il ? Quelles sont ses priorités?? Quels sont ses projets ?
• Ressources : a-t-il les moyens de mettre en œuvre le programme thérapeutique proposé ?
La question de fond est : « Qui est-il ? ». Nous verrons à la fin de cet article comment cette vision globale du patient représente la clé de voûte de la relation thérapeutique et de la confiance, véritable solution au problème de la non-observance.
La non-observance, un phénomène naturel
À partir de cette esquisse des phénomènes mentaux qui peuvent expliquer pourquoi les patients vont accomplir ou non un geste thérapeutique qui leur a été recommandé, on peut arriver à la conclusion que la non-observance, même si elle semble irrationnelle du point de vue du médecin, puisse être, du point de vue du patient, naturelle, voire rationnelle. Aux raisons qui ont conduit le médecin à prescrire tel traitement, le patient peut opposer ses propres priorités, qui peuvent être différentes et ne pas concerner sa santé.
› On peut d’abord faire un constat général : la récompense de l’observance a un caractère abstrait et lointain, souvent exprimé de manière négative : « ne pas avoir de complications ». Au contraire, celle de la non-observance se révèle au patient sur un mode concret, immédiat, exprimé de manière positive : la cigarette que je m’apprête à allumer, la sieste devant la télévision, l’idée de rester dans mon lit plutôt que d’avoir à me relever pour chercher la boite de comprimés. Or bon nombre d’entre nous, quand on leur demande ce qu’ils choisiraient entre une petite récompense immédiate (par exemple 500 € aujourd’hui) ou une grande récompense lointaine (par exemple 1500 € dans un an) préfèrent la petite récompense immédiate. De nombreuses études ont montré une association entre cette « impatience », évaluée par ce type de choix monétaire, et certains comportements addictifs (tabagisme, alcoolisme, etc.) et d’autres comportements nuisibles à la santé (18). Par ailleurs, dans les maladies chroniques, il faut faire des efforts aujourd’hui pour protéger notre moi futur, que nous pouvons avoir du mal à imaginer : il devient dès lors rationnel de se préoccuper davantage du présent que du futur (19). On comprend, dans ces conditions, que pour bon nombre de patients, il soit, de leur point de vue, naturel de ne pas être observant. On comprend aussi que la non-observance dans les maladies chroniques soit plus fréquente chez les patients plus jeunes (2) ou en cas de précarité sociale (20), quand « on ne sait pas de quoi demain sera fait ».› Comprendre que la non-observance puisse être naturelle, être compréhensif, ne veut pas dire que l’on approuve de manière indulgente le comportement du patient : c’est simplement lui montrer, quand on lui pose la question, qu’on pourrait s’attendre à ce qu’il ne fasse pas ce qui lui a été prescrit. On peut ici remarquer le caractère remarquablement naturel des six questions du questionnaire de Girerd (21) qui vise à détecter la non-observance (voir encadré E3).
E3. le questionnaire de Girerd
Le patient est sans doute non-observant s’il répond au moins trois fois oui à l’une de ces six questions
1. Ce matin, avez-vous oublié de prendre votre traitement ?
2. Depuis la dernière consultation, avez-vous été en panne de médicament ?
3. Vous est-il arrivé de prendre votre traitement avec retard par rapport à l’heure habituelle ?
4. Vous est-il arrivé de ne pas prendre votre traitement parce que, certains jours votre mémoire vous fait défaut ?
5. Vous est-il arrivé de ne pas prendre votre traitement parce que, certains jours, vous avez l’impression que votre traitement vous fait plus de mal que de bien ?
6. Pensez-vous que vous avez trop de comprimés à prendre ?
Non-observance, désobéissance et réactance
Certains patients sont observants simplement parce que d’une manière générale ils sont obéissants : ainsi, nous avons montré dans une étude portant sur plus de 600 patients diabétiques obèses que le fait de déclarer que l’on met sa ceinture de sécurité quand on est assis à l’arrière d’une voiture était un déterminant indépendant de l’observance médicamenteuse (22). À l’inverse, certains individus ne font pas certaines choses, simplement parce qu’on leur a demandé de le faire et qu’ils se sentent menacés dans leur liberté : ce que les psychologues appellent « réactance » pourrait dans certains cas être cause de non-observance dont on a montré qu’elle est plus fréquente lors que la prescription a été donnée avec un style autoritaire (23). Pensons à la symbolique du mot « ordonnance » !
Améliorer l’observance
On comprend dès lors l’importance de ce que l’on appelle « l’éducation thérapeutique du patient » dans le traitement des maladies chroniques. C’est au niveau de tous les éléments de la Figure 1 qu’elle agit : certes, en donnant au patient les connaissances et les compétences nécessaires à la qualité et la sécurité du traitement ; mais aussi, par le « diagnostic éducatif », en s’enquérant de ses croyances, de ses émotions, de ce qu’il pense lui-même de ce qui lui arrive et du traitement qu’on lui propose, en lui demandant de parler de ses projets, et pas seulement de ses antécédents comme nous avons appris à le faire dans « l’interrogatoire » (encore un mot discutable !), en lui donnant le sens de ce qu’on lui propose, enfin, au cours de cette conversation, en parlant d’autre chose (24). En un mot, en montrant au patient qu’on le considère en tant que personne dont on respecte l’autonomie (25), ce qui favorisera l’établissement d’une relation de confiance, et, in fine, l’observance (26). Mais tout ceci, ne le cachons pas, prend du temps.
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