Le diabète représente la première cause d’insuffisance rénale. La situation risque de s’aggraver en raison de l’épidémie annoncée du diabète et du vieillissement de la population. Les patients diabétiques dialysés chroniques représentent 41 % des patients dialysés et ont un risque de décès vasculaire deux fois plus important que les dialysés non diabétiques et 100 fois plus important que la population générale. La mortalité est supérieure à 25 % dans les deux ans qui suivent la mise en dialyse chez les diabétiques. Ce risque cardio-vasculaire existe même avant le stade de la dialyse, lié à l'IR elle-même, d’où l'importance d'une prise en charge intensive de tous les facteurs de risque cardio-vasculaire.
ÉLÉMENTS DE PHYSIOPATHOLOGIE
L’hyperglycémie chronique est le facteur commun qui lie la néphropathie diabétique (ND) de type 1 et au diabète de type 2. Comme la prévalence du diabète de type 2 (90 %) est plus importante que celle du type 1(10%), on retrouve plus d’insuffisants rénaux diabétiques de type 2 (50 à 80 %) que de type 1.
-› Dans le diabète de type 1, la néphropathie se développe chez 30 % des patients après 10 à 25 ans d’évolution tandis que la rétinopathie diabétique affecte 100 % des diabétiques de type 1 après 30 ans d’évolution d’un diabète déséquilibré ; la différence pouvant s’expliquer par des facteurs de susceptibilité ou de protection génétique. Classiquement, en l’absence de prise en charge étroite, le délai entre la survenue d’une néphropathie incipiens (microalbuminurie) et l’insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) est de 10 à 15 ans. Des données récentes suggèrent toutefois que la présence d'une microalbuminurie n'est pas synonyme d'une évolution inéluctable vers l'IR et que d'autres facteurs semblent intervenir (1).
-› Dans le diabète de type 2, la prévalence de la ND est évaluée à 20 % mais l’incidence dépend de l’âge au moment de la survenue du diabète et l’incidence cumulée est de l’ordre de 44 %. La prévalence de la microalbuminurie dans le type 2 est estimée à 34 %, mais n’est pas aussi spécifique de la ND que dans le diabète de type 1. L’IR terminale survient en moyenne 10 ans après le diagnostic du diabète de type 2 (en raison du délai entre la survenue du diabète et son diagnostic), à un âge moyen de 65 ans. Dans la mesure où l’HTA précède ou coïncide avec la découverte du diabète de type 2, il est plus difficile d’attribuer l’atteinte rénale seulement au diabète. Il semble plus légitime de parler d’une origine multifactorielle de la maladie rénale (obésité, diabète, HTA voire de désordres lipidiques). Enfin il faut mentionner qu’il existe des patients avec une IR liée au diabète (histologiquement prouvée) sans microalbuminurie ni protéinurie (1).
L’HISTOIRE NATURELLE DE LA NEPHROPATHIE DIABÉTIQUE
On en doit la description à Mogensen (2) (Voir tableau 1). Après deux stades infra-cliniques caractérisés par une hyperfiltration glomérulaire, au stade 3, l’apparition d’une microalbuminurie persistante marque le passage aux stades cliniques. Si dans les années 1980, l’évolution semblait inéluctable vers l’insuffisance rénale, depuis l’apparition des inhibiteurs du système rénine-angiotensine et la prise en charge intensive des facteurs de progression de la ND, une régression peut être observée ou au moins un ralentissement de l’évolution.
ÉVALUATION DE L’ATTEINTE RÉNALE ET MODALITÉS DE SUIVI
Dans le cadre du suivi d’un diabétique, le dépistage au moins annuel de la microalbuminurie et le dosage de la créatininémie sont obligatoires.
-› Une microalbuminurie peut être affirmée sur deux résultats positifs au minimum et si possible en dehors d'un épisode de déséquilibre glycémique.
-› Le débit de filtration glomérulaire est apprécié classiquement par la formule de Cockcroft qui a le défaut de prendre en considération l’âge et le poids du patient, ce qui rend imprécise l’utilisation chez le diabétique qui est le plus souvent en surcharge pondérale. Pour pallier cet inconvénient, la formule MDRD est une alternative fiable. Le bilan rénal réalisé permet d’évaluer l’atteinte rénale et d’utiliser la classification de l’ANAES (3) de la maladie rénale chronique (Voir tableau 2).
-› L’IR augmente le niveau de risque cardio-vasculaire du patient et implique une prise en charge multidisciplinaire avec la participation du médecin généraliste, du diabétologue, du néphrologue, du cardiologue et de la diététicienne. Cette approche est nécessaire pour maîtriser au mieux le versant glycémique, tensionnel, nutritionnel, afin d’éviter ou de ralentir la progression de l’insuffisance rénale vers une phase terminale avec dialyse.
-› Le rythme du suivi néphrologique peut être déterminé par une règle simple en divisant par 10 la valeur du DFG.
LE CONTRÔLE GLYCÉMIQUE
L’arrivée du patient au stade de l’insuffisance rénale chronique ne modifie pas les objectifs glycémiques. Qu’il s’agisse d’un diabète de type 1 ou 2, on vise la normoglycémie (HbA1c < 7 %). Par contre, l’objectif doit être modulé en fonction de l’âge et des comorbidités, notamment cardio-vasculaires, comme l’ont fortement suggéré les grandes études ACCORD et VADT réalisées chez les diabétiques de type 2. En effet, le risque d’hypoglycémie est majoré et peut altérer le pronostic chez ces patients fragiles. De plus, l’insuffisance rénale modifie l’élimination rénale de l’insuline et de la majorité des antidiabétiques oraux (ADO), favorisant la survenue d’hypoglycémies.
LES TRAITEMENTS
Le traitement utilisé chez un diabétique de type 1 insuffisant rénal repose sur un schéma d’insulinothérapie intensifié (basal-bolus) en employant des analogues d’insuline basale type glargine ou detemir et des bolus d’analogues rapides de l’insuline.
Chez le diabétique de type 2, tous les ADO peuvent être utilisés tant que la clairance de la créatinine est › 60 ml/min. Entre 30 et 60 ml/min, une adaptation de la posologie est nécessaire.
Les biguanides
La metformine comme unique représentante de la classe et médicament de première ligne dans le diabète de type 2, est contre-indiquée selon l’AMM lorsque le DFG est < 60 ml/min. Toutefois en pratique les sociétés savantes recommandent la poursuite du traitement à la dose de 1g/jour lorsque le DFG est entre 30 et 60 ml/min. Cette extension de l’indication de la metformine a été suggérée à la suite de nombreuses études et plus récemment de l’analyse des données de près de 20 000 patients diabétiques de type 2 ayant un antécédent cardio-vasculaire suivis dans le registre REACH (Reduction of Atherothrombosis for Continued Health Registry). La mortalité était significativement réduite, de 24 %, chez les patients qui avaient reçu de la metformine. Cette diminution de la mortalité a été aussi retrouvée dans les sous-groupes des insuffisants rénaux modérés, des patients âgés (<80 ans) et des patients ayant un antécédent d’insuffisance cardiaque (4). Si la poursuite de la metformine semble bénéfique dans le cadre de l’insuffisance rénale modérée, il faut éduquer les patients pour qu’ils pensent à l’arrêter dans des situations qui risquent d’aggraver l’insuffisance rénale sur un mode aigu avec un risque accru d’accumulation de la metformine et d’acidose lactique. Il s’agit d’une chirurgie, des examens avec produit de contraste, d’un traitement concomitant par diurétiques ou anti-inflammatoires non-stéroïdiens, et d’épisodes de diarrhée, vomissements, fièvre ou en cas de forte chaleur. Enfin la metformine doit être arrêtée lorsque le DFG est <30 ml/min.
Les sulfamides
Ils peuvent être poursuivis si le DFG est entre 30-60 ml/min, mais il faut garder à l’esprit que dès que l’insuffisance rénale est installée, le risque d’hypoglycémie augmente, car ces molécules sont éliminées par voie urinaire. Cela implique une éducation du patient à une autosurveillance glycémique régulière et souvent la posologie est réduite ou un sulfamide de demi-vie plus courte est préféré pour éviter l’hypoglycémie.
Les glinides
Les glinides (répaglinide) sont des insulinosécréteurs principalement excrétés par voie biliaire (8 % seulement par voie urinaire) dont l’élimination n’est donc pas affectée en cas d'altération de la fonction rénale. Le répaglinide est prescrit à raison d’une prise avant chaque repas et l’augmentation de la dose doit être progressive. La tolérance est bonne et le risque d’hypoglycémie moindre comme l’a montré une étude pratiquée chez des patients insuffisants rénaux (5).
Les analogues du GLP 1
Ils peuvent être prescrits à la dose habituelle jusqu’à 50 ml/min de clairance de la créatinine. Outre leurs effets secondaires digestifs, le risque d’hypoglycémie peut être majoré en cas d’association aux sulfamides ou au répaglinide. S’agissant d’une classe thérapeutique récente, l’expérience d’utilisation dans cette catégorie de patients est limitée, imposant une certaine prudence. En dessous de 30 ml/min, il n’est pas recommandé d’employer ces molécules.
Les inhibiteurs de la DPP 4
Ils font partie des derniers ADO mis à notre disposition et de ce fait les données chez les patients insuffisants rénaux sont encore limitées. Actuellement, il existe trois médicaments appartenant à cette classe : la sitagliptine, la vildagliptine et la saxagliptine. Ils peuvent tous être prescrits à la dose maximale jusqu’à 50 ml/min de DFG et leur tolérance semble satisfaisante avec un faible risque d’hypoglycémie s’ils ne sont pas associés à un insulinosécréteur et avec une neutralité pondérale.
-› La dose de saxagliptine doit être réduite à 2,5mg une fois par jour chez les patients ayant une insuffisance rénale modérée ou sévère. Cette galénique n’existe pas actuellement en France et les comprimés à 5 mg ne sont pas sécables. L'expérience chez les patients ayant une insuffisance rénale sévère est très limitée. Par conséquent, la saxagliptine doit être utilisée avec précaution dans cette population. Elle n'est pas recommandée chez les patients au stade d’insuffisance rénale terminale requérant une hémodialyse.
-› Quant à la sitagliptine, des études récentes sur de petites séries montrent une bonne efficacité et tolérance chez les insuffisants rénaux modérés et sévères moyennant une réduction de la dose à 50 mg/j entre 30 et 50 ml/min de DFG et à 25 mg/j en dessous de 30 ml/min. Les dosages de 50 mg et 25 mg ne sont pas commercialisés en France et le comprimé de 100 mg n’est pas sécable. La sitagliptine est la seule à disposer de l’AMM en association à l’insuline, ce qui peut offrir une alternative thérapeutique chez des patients sous insuline gardant une hyperglycémie post-prandiale.
-› Pour la vildagliptine, chez les patients présentant une insuffisance rénale modérée ou sévère ou une insuffisance rénale terminale, la dose recommandée est de 50 mg une fois par jour et ce dosage est disponible en France. Aucune adaptation posologique n'est nécessaire chez les patients âgés (› 65 ans).
Les inhibiteurs des α-glucosidases
Ils peuvent être utilisés jusqu’à 25 ml/min de DFG. Par contre, nous ne disposons pas d’une grande étude ayant évalué l’acarbose chez les insuffisants rénaux modérés ou sévères et la tolérance digestive est médiocre.
L’insuline
Elle ne présente aucune contre-indication en cas d’insuffisance rénale et constitue le traitement de choix pour un DFG <30 ml/min. En revanche, sa demi-vie est allongée en cas d’insuffisance rénale et le risque d’hypoglycémie est majoré, ce qui implique une surveillance glycémique régulière et une éducation du patient vis-à-vis des hypoglycémies et si besoin, une diminution progressive des doses.
LE CONTRÔLE TENSIONNEL
L’équilibre tensionnel représente l’autre pierre angulaire de la prise en charge du patient diabétique insuffisant rénal. L’objectif à cibler est une pression artérielle < 130/80 mmHg, niveau bien difficile à atteindre à ce stade et requérant en règle au moins trois anti-hypertenseurs.
En outre, l’objectif est d’abaisser la protéinurie au dessous de 0,5 g/j. Toutes les classes thérapeutiques contribuent à réduire la pression artérielle, mais les classes qui ont bien démontré leur effet néphroprotecteur en plus de leur effet de prévention cardio-vasculaire, indépendamment de la baisse tensionnelle, sont celles des bloqueurs du système rénine angiotensine. L’utilisation de ces médicaments doit être maintenue chez les patients insuffisants rénaux.
-› Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les antagonistes des récepteurs à l’angiotensine 2 (ARA2) sont en effet les médicaments recommandés pour ralentir la progression de l’IRC. Les ARA2 sont recommandés chez les diabétiques de type 2 et les IEC dans le diabète de type 1 ; cette distinction résultant essentiellement des essais thérapeutiques menés avec l’une ou l’autre classe respectivement dans les deux types de diabète.
Toutes les études réalisées dans un but de néphroprotection s'accordent à dire que la dose de ces médicaments à utiliser doit être maximale. L'association IEC-ARA2 était proposée par l'ANAES à visée anti-protéinurique. Actuellement, cette association n'est plus recommandée à la suite de l'étude ONTARGET qui a exclus tout bénéfice à cette stratégie, avec un risque d'hyperkaliémie et d’aggravation de l’insuffisance rénale (7). Une telle association ne peut être dès lors envisagée que de façon exceptionnelle en restant du ressort du néphrologue.
Si le contrôle tensionnel n'est pas atteint, un diurétique thiazidique peut être rajouté pour un DFG entre 30 et 50 ml/min et en dessous de 30 ml/min ce sera un diurétique de l'anse. En cas d'échec un anti-calcique peut être proposé.
-› Quant à l'aliskiren, le seul représentant de la classe des inhibiteurs de la rénine, son utilisation en tant qu'antihypertenseur reste valable, mais l'association à un IEC ou à un ARA2 n'est plus recommandée, à la suite des résultats préliminaires de l'étude ALTITUDE qui ont mis en évidence une augmentation du risque d'accident vasculaire cérébral et de dégradation de la fonction rénale.
Les conseils nutritionnels
Il est recommandé d’associer une restriction sodée à 100 mmol/jour (6 g/j) aux traitements. Une restriction plus stricte est appliquée aux stades avancés d’insuffisance rénale.
Un excès de protéines alimentaires a un effet délétère sur la protéinurie et la progression de l’insuffisance rénale. Un apport d’environ 0,8 g protéines/kg par jour semble souhaitable. Il existe un risque de dénutrition en l’absence de suivi diététique.
Le contrôle des autres facteurs de risque
-› Le recours aux agents hypolipémiants (statines) et de l’aspirine (75 mg/j) est justifié en raison de l’incidence élevée des complications cardio-vasculaires chez ces patients. L’arrêt du tabagisme est impératif. Il ne faut pas oublier la prise en charge de l’anémie et de l’hyperparathyroïdie secondaire à une carence en vitamine D et au défaut de métabolisation rénale de la vitamine D. La substitution en vitamine D doit être systématique en fonction du degré de carence.
-› Les substances néphrotoxiques sont à proscrire : injections de produits de contraste iodés, médicaments (AINS), métaux lourds, solvants organiques.
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