Surexposés au risque d'épuisement professionnel, les urgentistes cherchent des parades

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Publié le 15/07/2022
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Crédit photo : S.Toubon

Chef de service des urgences et du Smur à l'hôpital Lariboisière (AP-HP), le Dr Éric Revue se souvient parfaitement du jour où son adjoint a fait un burn-out. « Les signes traînaient depuis plusieurs semaines. Je m’en suis voulu à mort de ne pas lui avoir demandé de s’arrêter », a confié le médecin urgentiste, lors d’une conférence organisée dans le cadre du récent Congrès Urgences 2022. De fait, quelques semaines plus tard, son collègue a fini par craquer. « Il est définitivement parti » pour exercer un autre métier.

Pénibilité et incertitude

Un cas loin d’être isolé, puisque, selon une enquête de la Société européenne de médecine d'urgence (Eusem), réalisée auprès de professionnels dans 89 pays, 62 % des urgentistes souffrent d’au moins un symptôme du burn-out (voire deux pour 31 % d’entre eux).  Un niveau élevé de dépersonnalisation, d'épuisement émotionnel et de réduction de l'accomplissement personnel a été identifié chez respectivement 46 %, 47 % et 48 % des répondants. 

L’étude confirme que la pandémie a exacerbé les souffrances chroniques des urgentistes. La pénibilité de la spécialité de médecine d’urgence augmente le risque : charge émotionnelle, volume d'activité imprévisible, difficultés spécifiques des conditions de travail, etc. Les urgentistes sont également confrontés à une forme d’incertitude diagnostique ou thérapeutique car « on laisse sortir les patients des urgences sans forcément avoir une explication à leurs symptômes, ce qui peut générer beaucoup de stress », observe la Dr Jennifer Truchot, urgentiste à Cochin.

Aides cognitives

Alors que les études de médecine sont marquées par la culture du perfectionnisme, « la première chose qu’on apprend quand on travaille aux urgences, c’est qu’on fait tous des erreurs », complète le Dr Éric Revue. Des erreurs qui peuvent être extrêmement mal vécues, constate l’urgentiste.

Pour prévenir le risque de burn-out, il existe des cependant des méthodes de gestion du stress aux urgences. La première, explique la Dr Truchot, consiste à mieux connaître ses propres « triggers » (déclencheurs) personnels, ce qui facilite la mise en place de stratégies pour y faire face. Autre outil suggéré par l'urgentiste : les aides cognitives, qui permettent « de diminuer l’anxiété et d‘améliorer les performances », en homogénéisant et standardisant la prise en charge. Les médecins peuvent « afficher les algorithmes dans leur milieu de travail », utiliser des applications (TopMU, SMUR BMPM, etc.) ou des livres (Urg’ de garde, Mapar). Des aides qui permettent d’avoir « toujours accès à la connaissance, ce qui rassure en intervention ».

Pauses et simulation in situ

Elle conseille aussi de faire des pauses quand c’est nécessaire. « Pendant une minute, tout le monde s’arrête, on fait un petit SBAR (Situation-Background-Assessment-Recommendation, NDLR) ». Ce point de transmission permet de faire redescendre la pression, « de bien répartir les tâches futures, d’améliorer la conscience de la situation pour éviter les erreurs de fixation ».

Ces pauses — plus ou moins longues — permettent de « casser le cercle vicieux », confirme le Dr Pierre-Géraud Claret (CHU de Nîmes), conscient que le métier d’urgentiste est soumis à de très fortes intensités de travail. Or, c’est justement à l’issue de périodes de travail intense que le burn-out survient, indique le médecin, qui conseille de prendre du repos à la fin d'épisodes de stress aigu pour « continuer à travailler avec une grande intensité ».

La simulation in situ est une autre méthode éprouvée. Elle permet de connaître son environnement, de ne pas subir le stress au déchoquage quand, par exemple, on ne sait pas où est rangé le matériel. L’utilisation de mannequins permet de simuler des césariennes ou des plaies par arme blanche. La méthode s’applique aussi bien aux « cas de tous les jours qu’aux cas hyper rares », insiste la Dr Truchot. Et même pour les médecins les plus expérimentés, c’est une manière de faire un sur-apprentissage pour maîtriser parfaitement un geste. Si bien que, « le jour où on est en excès de stress, on peut basculer en pilote automatique ».

Julien Moschetti

Source : lequotidiendumedecin.fr