« Les années passent, Padhue toujours dans l’impasse » : les médecins à diplôme étranger exaspérés par les retards de la procédure d'autorisation d'exercice

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Publié le 01/06/2022

Crédit photo : Julien Moschetti

« Madame la ministre, les Padhue sont abattus/Commission, soumission, toute la vie consolidation ». Mardi après-midi, une soixantaine de blouses blanches ont repris en chœur le refrain craché par le haut-parleur. Ces praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) manifestaient, une fois encore, leur exaspération devant le ministère de la Santé, à cause des retards et couacs liés à leur nouvelle procédure d’autorisation d’exercice, qui prolonge leur statut précaire. Dans leurs mains, des pancartes avec des slogans explicites : « Médecins étrangers, carrière brisée ! », « Les années passent, Padhue toujours dans l’impasse », « Médecins du Covid, laissés après dans le vide ».

Transition compliquée 

Pour rappel, le nouveau statut de praticien associé est censé remplacer progressivement les statuts antérieurs qui disparaîtront en 2023. Objectif : « offrir les mêmes conditions statutaires à tous ces praticiens le temps de la réalisation de leur parcours de consolidation des compétences ou de leur stage d’adaptation », précise le ministère.

Mais la réforme soulève de nombreuses inquiétudes et les alertes se sont multipliées ces derniers mois. En particulier au sujet de la fameuse procédure transitoire, dite « stock », qui fait partie – avec le concours d'épreuves de vérification des connaissances (EVC) – des deux procédures d’autorisation d’exercice définitive.

Mais cette voie transitoire (ouverte aux Padhue ayant exercé au moins deux ans à temps plein entre le 1er janvier 2015 et le 30 juin 2021) nécessite un examen des quelque 4 500 dossiers de Padhue par diverses commissions régionales (au sein des ARS) et nationale au sein du CNG. Si celui-ci est accepté, le médecin peut se voir prescrire un parcours de consolidation des compétences d’une durée de deux ans. Un parcours du combattant qui ne cesse de traîner… Seuls 1 500 dossiers seraient parvenus à la dernière étape nationale. 

Retard considérable

Le traitement des dossiers a pris « un retard considérable », martèle le Syndicat national des praticiens à diplôme hors UE (Snpadhue). « Une majorité de dossiers n’ont pas encore été traités par les ARS, pourtant première étape de la procédure ! », se désole le syndicat. Après un premier report d’un an lié à la crise sanitaire, « la tutelle semble se diriger vers un énième report imposant aux Padhue des peines à rallonge », dénonce encore le Snpadhue. Ces atermoiements pénalisent les services hospitaliers, tout en « maintenant les médecins dans la précarité avec l’espoir qu’un jour, ils obtiendront la plénitude d’exercice ».

Même critique du côté du syndicat Jeunes Médecins (JM) qui appelait aussi à manifester. « Le retard pris par l’administration est considérable et la liste des postes ouverts est nettement insuffisante pour faire face aux besoins réels des hôpitaux français », pointe JM. L'organisation demande au ministère de régulariser la situation des Padhue « en attente d’affectation et d’autorisation de plein exercice ». Et leurs missions doivent être reconnues « à hauteur du statut de praticien hospitalier », pour ceux qui ont été reçus aux EVC.

Situation « ubuesque »

L’intersyndicale Action praticiens hôpital (APH) estime de son côté que les Padhue « n’ont que trop attendu les validations de leur autorisation d’exercice en France ». Il juge que les commissions régionales et le CNG sont dans l’impossibilité de respecter les délais prévus « faute d’arriver à réunir les jurys de praticiens en région puis au niveau national ».

Conséquence : certains praticiens risquent « de se retrouver sans emploi ou pourraient être séparés de leur famille parce qu’ils vont devoir quitter l’établissement de santé dans lequel ils travaillent depuis plusieurs années ». Une situation « ubuesque » qui permet « d’utiliser une main-d’œuvre très qualifiée à bas prix », accuse APH, persuadé que le processus pourrait être raccourci en supprimant l’étape de validation régionale.

Présent mardi lors du rassemblement, Laurent*, 42 ans, se trouve précisément dans une situation « ubuesque ». Après un diplôme obtenu en Algérie, il a effectué une partie de son internat en France. Titulaire de deux DU, il travaille dans la même unité depuis neuf ans, « avec un statut d’interne, à raison de 60 à 70 heures par semaine », confie-t-il au « Quotidien ». Le médecin fait aussi « pas mal de recherche » et se dit « soutenu » par ses collègues. Mais depuis ce jour de mai 2021 où il a déposé son dossier, c’est le statu quo. « Mon dossier n’a pas encore été examiné par la première commission régionale, alors qu’un décret stipule que, sans réponse au bout d’un an, cela équivaut à un refus ». Si la « procédure stock » est à nouveau reportée, explique-t-il, cela fera « dix ans que je travaillerai avec un statut précaire qui me pénalise non seulement financièrement, mais aussi pour cotiser à la retraite ». Il ne peut pas faire de demande de financement dans le cadre de ses recherches, tout en regardant « avec frustration » les opportunités de carrière « filer », puisqu’il ne peut « pas y accéder ».

Padhue au chômage !

Comme Laurent, nombreux sont les Padhue qui se retrouvent pris au piège. C’est pourquoi le Snpadhue exige que « les délais et les conditions prévus par la loi soient respectés ». Sa secrétaire générale, la Dr Nefissa Lakhdara, qui faisait partie de la délégation reçue mardi par le cabinet de Brigitte Bourguignon à l’issue du rassemblement, refuse « une nouvelle prolongation de la procédure stock ».

La médecin demande également le rétablissement de la mobilité qui a été « oubliée » lors d’un premier report de la procédure. « L’autorisation temporaire d’exercice maintient les Padhue sur le même statut, sur le même stage, ils ne peuvent donc pas bouger d’un service à l’autre. Un certain nombre d’entre eux se retrouvent au chômage car ils ne peuvent pas être recrutés », enrage la Dr Nefissa Lakhdara. Une aberration alors que, dans tous de nombreux territoires, les services hospitaliers anticipent un été délicat en raison de la pénurie médicale. 

*Le prénom a été modifié pour des raisons de confidentialité


Source : lequotidiendumedecin.fr