Ratios de soignants insuffisants : le CIH, le CIU et des associations de patients menacent de porter plainte pour carence fautive de l’État

Par
Publié le 12/07/2022
Article réservé aux abonnés

Crédit photo : S.Toubon

C'est une première en France. En raison de la dégradation de l’hôpital public, un groupe d’associations de patients et de collectifs de soignants menace dans une tribune publiée ce mardi dans « Libération » de porter plainte pour carence fautive de l’État. Les six organisations ont, en effet, soumis une réclamation préalable indemnitaire (RPI) à la Première ministre et au ministre de la Santé, afin que l’État reconnaisse sa responsabilité pour faute dans la politique de santé. Les collectifs inter-hôpitaux (CIH) et inter-urgences (CIU) se sont associés à la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et des maternités de proximité, ainsi qu’à trois associations de personnes malades : Laurette Fugain, Aide aux jeunes diabétiques (AJD) et l'Association maladies foie enfants.

Depuis trois ans, le CIU et le CIH ont « exploré toutes les voies possibles pour alerter sur la situation de l’hôpital », a expliqué la Dr Anne Gervais, lors d'une conférence de presse, mardi matin. La membre du CIH a évoqué les nombreuses manifestations pour sauver l’hôpital, mais aussi la journée d’échange au Conseil économique, social et environnemental (CESE) en 2020 ou une proposition de référendum d'initiative partagée (RIP) sur l'hôpital public en 2021. Si les organisations choisissent aujourd’hui la voie juridique, c’est parce que « les mesures indispensables à la survie et au bon fonctionnement de l’hôpital public n’ont pas été prises », estime le CIH qui reconnaît à demi-mot « l’échec » de ces trois années de mobilisation.

Carences de l’État

Or, il y a aujourd’hui, plus que jamais, urgence à agir, selon le collectif qui fait référence aux nombreuses fermetures de lits ou de services, à la dégradation de la qualité et de la sécurité des soins. Conséquence : « l’hôpital est en train de brûler », observe la Dr Sophie Crozier, neurologue à la Pitié-Salpêtrière. La cofondatrice du CIH alerte sur les pertes de chances quotidiennes pour les patients, « qu’il s’agisse de maladies chroniques ou aiguës ». Un quart des lits d’unités neurovasculaires (UNV) sont actuellement fermés en Île-de-France, alors que « l’hospitalisation dans ces unités est nécessaire pour réduire de 25 % le risque de handicap et de mortalité », précise la médecin. Et d’ajouter que la survie des patients augmente « lorsqu’une infirmière prend soin de 6 à 8 malades au maximum, au lieu de 10 à 20 actuellement dans nos services ».

Or, les mises en garde de la HAS, de l’Académie de médecine ou le récent rapport du Sénat sur la situation de l’hôpital public « font le constat de carences de l’État dans sa gestion de l’hôpital », selon Me Jean-Louis Macouillard, qui représente les six organisations. L’avocat au barreau de Paris reproche à l’exécutif de s’être « davantage soucié de la gestion financière de ses hôpitaux que de la santé des patients, du personnel et de la continuité du service public ». Il pointe également une autre carence de l’État qui ne se serait « pas doté d’un instrument de mesure pertinent pour vérifier le nombre de postes vacants », alors que celui-ci procédait à la fermeture de lits et à la compression de personnels.

Politique de réduction des coûts

Enfin, l’avocat accuse l’État de ne pas s’être informé sur la littérature scientifique « abondante » en matière de ratios « patients par soignant ». Or, la mise en place de ratios est « la condition sine qua non de la sécurité des patients et des soignants », estime Me Macouillard, sur la même longueur d’onde que la commission d’enquête du Sénat sur ce point. Or, ces dernières années, la tendance était plutôt à une « baisse quasi constante du nombre de lits », notamment en 2020, en raison d’une politique « toute tournée vers la réduction des coûts ».

Pour porter sa réclamation préalable, le cabinet d’avocats s’appuiera sur le Code de santé publique qui prévoit que l’État est « responsable de sa politique publique de santé ». Il existe donc un régime de responsabilité pour faute de l’État, lorsque sa politique comporte des carences et cause des dommages. À l’image de l’article L1110-1 qui spécifie que « le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne ».

Ratios d’effectif suffisants

Les six organisations attendent donc que l’État reconnaissance sa responsabilité dans la crise actuelle en indemnisant les associations qui portent les intérêts des patients, des soignants et de l’hôpital. Elles exigent également des « mesures correctives » pour faire cesser la crise au plus vite. L’exécutif est sommé de prendre de mesures pour définir des ratios d’effectif « patients par soignant » suffisants, au regard des études internationales en la matière.

Si l’État ne reconnaît sa responsabilité dans cette crise dans un délai de deux mois, les six organisations saisiront le tribunal administratif.


Source : lequotidiendumedecin.fr