Comment faire du numérique un allié dans la relation médecins-patients ?

Publié le 03/09/2021
Article réservé aux abonnés
Face au manque de temps à consacrer aux consultations et du fait de l’arrivée massive des technologies dans la santé, comment préserver la qualité de la relation médecin-malade ? Des éléments de réponses avec le Pr Daniel Bontoux, coordinateur d’un rapport sur le sujet pour l’Académie Nationale de Médecine.
Entre le soignant et le patient, le digital ne doit pas faire écran

Entre le soignant et le patient, le digital ne doit pas faire écran
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Constatant que l’accès aux technologies numériques, la multiplicité des intervenants et la baisse du temps moyen des consultations représentent désormais une évolution inéluctable de la Médecine, l’Académie Nationale de Médecine a formulé neuf nouvelles recommandations dans un rapport publié au début de l'été. L’idée est de préserver les bonnes conditions d’une médecine personnalisée, humaniste, éthique, gage de confiance, d’adhésion et de conviction des patients qui pourraient être mises en péril par la place prise par les technologies aux dépens de l’indispensable échange verbal, non verbal et physique dans la relation médecin-malade.

« Le point de départ de notre réflexion était fondé sur notre travail sur les thérapies complémentaires, notamment l’effet placebo lié à la qualité de la relation médecin malade », analyse pour "Le Quotidien" le Pr Daniel Bontoux. N’est-il pas contradictoire de mettre en avant l’effet placebo du médecin comme élément fondateur d’une bonne relation médecin-malade ? Non, car comme l’analyse l’Académie, l’écoute, l’empathie, le respect, la clarté et la sincérité des explications sont les fondements d’une relation de confiance qui agit favorablement sur le résultat thérapeutique par l’incitation à l’observance et par ses effets propres. Et ses auteurs de souligner en substance que, dans le cadre de son exercice courant, le médecin sollicite consciemment ou non un effet placebo par la confiance qu’il inspire, la chaleur et la conviction qui accompagnent sa prescription. « Partant de ce constat, nous avons eu le projet de redire l’importance de cette relation pour le succès de toute prise en charge thérapeutique, et d’analyser ce qui la modifie et peut la compromettre dans la pratique d’aujourd’hui, dominée par le travail en équipe et l’usage des technologies numériques », continue le rhumatologue de Poitiers.

Apprivoiser les écrans

L’Académie liste les « difficultés » auxquelles le « médecin d’aujourd’hui doit faire face dans sa relation avec le patient » : malade plus informé et plus critique, manque de temps du fait du poids des tâches administratives, travail en équipe qui disperse et appauvrit la relation et, surtout, primauté des technologies. C’est en particulier "le travail sur ordinateur", qui est pointé du doigt car parfois il est « responsable de ruptures dans le dialogue, de détournement du regard du médecin, voire de gêne au contact visuel des interlocuteurs par interposition du matériel ».

Comment faire avec ses évolutions inéluctables conçues pour améliorer les diagnostics et les traitements et qui ne cesseront de progresser dans la pratique clinique ? « Il est essentiel de savoir mettre à profit les apports des nouvelles technologies en en maîtrisant les dérives et en préservant en toutes circonstances l’écoute et l’empathie », analyse le Pr Bontoux. L’Académie recommande également de « considérer les recherches du patient sur l'internet comme une démarche légitime, et [de] les faciliter au besoin en lui indiquant un site fiable – et éventuellement labélisé - suivant sa pathologie ». Afin d’éviter la distance mise en place par les ordinateurs (sur lesquels les médecins passent près de 40 % de leur temps de consultation), il est conseillé de partager autant que possible la vue de l’écran avec le patient : c’est une façon d’amorcer un dialogue différent et de rendre le patient plus concerné et plus actif dans la consultation.

Le contact présentiel en priorité

S'agissant de la téléconsultation, l’Académie appelle à privilégier la consultation présentielle « hors situations d'exception ou d'urgence ». Elle relève néanmoins l'apport de cet outil dans des territoires spécifiques, tels que les déserts médicaux, ou pour certaines spécialités, comme la psychiatrie.

Parmi les propositions détaillées dans le rapport, l’idée d’organiser les services hospitaliers en sorte que la proposition, l'exécution et le suivi du traitement d'un patient soient assurés par le même praticien est développée. Le rôle des Infirmiers en Pratique Avancée ( IPA) est aussi évoqué dans la coordination des soins des patients atteints de pathologies chroniques.

Enfin, pour le Pr Bontoux, « la place de l’enseignement et des stages notamment en médecine générale au cours des études est essentielle ». Et le coauteur du rapport d'insister sur ce thème : « Il serait souhaitable de favoriser le développement et la diffusion des méthodes d'apprentissage de la relation médecin-malade dans les facultés de Médecine, en créant notamment un réseau national de responsables universitaires à l'image des collèges de spécialité. La mission d'enseignement des professionnels universitaires hospitaliers et ambulatoires dans l'apprentissage de cette relation doit être réaffirmée », estime-t-il.

Le rapport est disponible sur le site de l’Académie de Médecine : https://www.academie-medecine.fr/la-relation-medecin-malade/

Dr Isabelle Catala

Source : Le Quotidien du médecin