Infirmières libérales

Les freins au développement de la pratique avancée identifiés

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Publié le 05/05/2023
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Plébiscitée par les pouvoirs publics pour améliorer l'accès aux soins, la profession d'infirmière en pratique avancée (IPA) connaît pourtant un développement difficile. Une étude qualitative menée par l'Irdes auprès des pionnières détaille les difficultés rencontrées.

Crédit photo : Phanie

Créée en France par la loi du 26 janvier 2016, la pratique avancée infirmière peine toujours à se développer. Telle est la principale conclusion tirée de l'enquête* sociologique qualitative menée par l'Irdes auprès des infirmières en pratique avancée (IPA) issues des deux premières promotions. En dépit de l'intérêt de ces professionnelles pour leur nouvel exercice, « toutes décrivent des difficultés majeures pour construire leur activité clinique ». Leur métier reste éloigné de ce qui était attendu lors de la création.

Tout particulièrement en ville, dans un contexte de transformations des soins primaires autour des redéfinitions des contours de métiers entre les professionnels de santé, l'étude montre que, malgré les deux années de formation supplémentaires leur permettant d'accéder à des compétences élargies, notamment en matière d'examens cliniques et de prescriptions d'examens complémentaires et de médicaments, les IPA libérales ont un faible nombre de patients suivis, souvent limité à quelques dizaines. Avec une file active constituée principalement de patients « complexes », elles ont du « mal à vivre » de leur activité, en raison des consultations longues et mal rémunérées (lire encadré).

Craintes des médecins

À qui la faute ? Les témoignages évoquent les réticences des médecins à leur confier des patients ne nécessitant que des consultations de routine, par crainte de perdre des consultations faciles et les revenus associés. Pour s'en sortir, certaines ont pris des missions complémentaires peu investies par les médecins comme la prévention secondaire ou encore la coordination dans les parcours des patients. D'autres continuent d'exercer en parallèle en tant qu'infirmières libérales généralistes ou alors elles occupent un poste de coordination d'équipe au sein d'une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP).

Exercer en pratique avancée ne va donc pas de soi. Alors, comment certaines ont-elles réussi à surmonter les difficultés pour créer elles-mêmes les conditions de leur exercice ? D'abord en communiquant sur leurs missions, ce que les pouvoirs publics n'ont pas forcément fait suffisamment. Elles ont dû, en effet, souvent présenter à leurs interlocuteurs leur métier, les compétences acquises et l'avantage que peut constituer, pour un professionnel de santé, de travailler avec une IPA.

Selon les personnes interrogées, cette relation par rapport aux médecins est plus facile lorsque ces derniers ont la volonté de développer une coopération interprofessionnelle ou ont déjà une proximité sociale avec elles via le réseau familial et amical. Contrairement aux idées reçues, l'âge du médecin importe peu. De nombreuses IPA mettent surtout en avant la « culture pluriprofessionnelle » des médecins qui acceptent de travailler avec elles, les jeunes nouvellement diplômés n'étant pas forcément plus favorables au partage de tâches.

Une autotomie revendiquée ou non

Enfin le développement de la pratique avancée dépend aussi de leurs propres aspirations en termes d'autonomie. Certaines se satisfont d'une activité « prescrite » (orientation par le médecin généraliste) et parviennent plus facilement à signer avec des généralistes des protocoles d'organisation, symboles d'une autonomie moins importante. Tandis que d'autres qui s'engagent pour la reconnaissance de l'expertise infirmière espèrent que cette nouvelle forme d'exercice leur permettra de s'émanciper des médecins qui méconnaissent leurs compétences, selon elles.

Face à une démographie médicale déclinante, comment développer ce métier, appelé à jouer un rôle central dans les années à venir, s'interroge l'Irdes. Les évolutions législatives et conventionnelles en 2021 et 2022 (expérimentation de l'accès direct, primoprescription, hausse du montant des forfaits et octroi des aides à l'installation) permettront-elles à cette profession de gagner en attractivité ? Puis, à plus long terme, « quelle influence aura la remontée du numerus clausus des médecins sur la redéfinition en cours du partage de tâches entre les professionnels de santé ? », s’interrogent à juste titre les auteurs de l'étude. Des questions  encore sans réponse.

*Menée entre février et juillet 2021 par entretiens semi-directs, l'enquête sociologique a sondé neuf femmes et un homme âgé en médiane de 46 ans, issus des deux premières promotions d'IPA.

Loan Tranthimy

Source : Le Quotidien du médecin