Radié par l’Ordre pour des prescriptions jugées dangereuses, un médecin se défend avec le soutien de ses patients

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Publié le 13/05/2023

Crédit photo : S.Toubon

Le Dr Jean-François Aly sera fixé sur son avenir professionnel dans près de deux mois. Le généraliste de 62 ans, installé depuis plus de 15 ans à Hérouville-Saint-Clair (Calvados), saura s’il peut continuer d’exercer la médecine ou s’il doit faire une croix sur son métier.

Radié en première instance par la chambre disciplinaire du Calvados, il est dans l’attente d’une décision en appel de la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins. Il avait été condamné le 29 juillet 2022 suite à une plainte de la CPAM et du conseil de l’Ordre du Calvados qui lui reprochaient des prescriptions abusives, notamment de médicaments de substitution aux opiacés, faisant courir des risques injustifiés à ses patients. Ce que le généraliste conteste formellement.

Cadeau

Le vendredi 5 mai, le Dr Aly plaidait sa cause à Paris devant la chambre disciplinaire. Le médecin n’était pas seul. Environ 85 de ses patients avaient fait le voyage dans le car qu’il avait affrété pour cette occasion. « Que des gens se mobilisent de cette façon-là, parfois en prenant un jour de congé, pour venir soutenir leur médecin à 250 km de chez eux, je n’en reviens toujours pas. Eux savent ce qui se passe au cabinet, quelle médecine je pratique. C’est un cadeau qu’ils m’ont fait et je leur en suis très reconnaissant », confie au « Quotidien » le généraliste, qui n’a pas souhaité s’exprimer sur le fond de l’affaire avant le verdict de la justice ordinale.

Les charges qui pèsent sur le Dr Aly paraissent lourdes. Le médecin avait été condamné pour des faits similaires en 2016 à une suspension d’exercice de deux ans, dont un avec sursis. En 2017, il avait fait l’objet d’un accompagnement personnalisé par le service du contrôle médical de la CPAM du Calvados. Constatant que les pratiques du généraliste n’évoluaient pas, la caisse avait fini par porter plainte après le signalement d’un grossiste répartiteur ayant relevé des irrégularités. 

Prescriptions sur fond de toxicomanie

La chambre disciplinaire a reproché au médecin de prescrire sans justification médicale du Lyrica (prégabaline), un antiépileptique délivré sur ordonnance sécurisée, connu pour être détourné de son usage thérapeutique et parfois qualifié de « drogue du pauvre ». Il a également délivré du Subutex (buprénorphine haut dosage) sans respecter « les conditions réglementaires de prescription, faisant ainsi courir au patient un risque de décès par surdose, sans fractionnement, avec des chevauchements ». Dans sa décision, que « Le Quotidien » a consultée, la chambre suggère que certains de ses patients n’étaient pas « dans une logique de soins eu égard à leur nomadisme médical et pharmaceutique ». Elle fait à plusieurs reprises référence au mésusage de ces médicaments, très recherchés par les toxicomanes.

Le Dr Aly a également été attaqué pour la prise en charge inadaptée de certains de ses patients. Il lui est reproché d’avoir dispensé à plusieurs d’entre eux un nombre d’actes qui ne s’expliquent pas par leurs pathologies. Le cas d’un homme atteint d’une cardiopathie ischémique ressort du dossier.

En l’espace d’un an, il a consulté à 123 reprises le Dr Aly, en visite ou au cabinet (soit 2,37 fois en moyenne par semaine), pour des problèmes lombaires. La chambre s’étonne que le médecin ne lui ait à aucun moment prescrit des traitements ou des suivis biologiques et électrocardiographiques pour sa pathologie cardiaque.

Règlement de compte avec le médecin-conseil ?

Pour sa défense, le Dr Aly fait remarquer que ce patient était suivi par son cardiologue. Le généraliste fait également valoir l’importance de sa patientèle. Concernant le Lyrica, il juge que le nombre de prescriptions qu’il a délivrées « n’est pas excessif », compte tenu de son activité très importante (1 750 patients par mois, cabinet ouvert 6j/7, de 7h30 à 23h). Il affirme avoir fourni à la Cpam « un rapport personnalisé » justifiant ses actes pour chaque patient concerné. « Ses prescriptions n'ont jamais eu de conséquences néfastes sur l'état de santé de ses patients, bien au contraire », avance son avocat dans le mémoire remis à la chambre disciplinaire. Il ajoute que le Dr Aly « ne peut être déclaré responsable d'un mésusage des médicaments qu'il prescrit à ses patients ».

Le médecin voit une explication à ces reproches formulés de manière récurrente par la Cpam et qui, selon lui, « dénote un a priori certain à son égard ». Il évoque ainsi un contentieux avec le médecin contrôleur de la caisse, une affaire qui aurait été portée devant le conseil départemental du Calvados. Un règlement de compte personnel ? La chambre disciplinaire du Calvados n’avait pas retenu cet argument, soulignant que le Dr Aly avait été à plusieurs reprises mis en garde pour ses pratiques faisant courir un risque injustifié à ses patients. 

Le généraliste espère inverser la tendance à l’occasion du jugement en appel. « Je me suis défendu point par point, avec l’aide de mon avocat. Advienne que pourra », conclut le Dr Aly.


Source : lequotidiendumedecin.fr