Au cœur de l'Amérique latine

Au Paraguay, en terre de mission

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Publié le 24/06/2022
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Seul pays du continent, avec la Bolivie, à ne pas posséder de côte maritime, le Paraguay échappe aux flux touristiques mondiaux. Sa découverte est d’autant plus enrichissante qu’elle préserve une culture et une identité inédites, symbolisées par les vestiges des missions jésuites, l'histoire des Indiens guaranis et le rôle majeur des fleuves dans l'économie.
Asunción, la cathédrale

Asunción, la cathédrale
Crédit photo : PHOTOS PHILIPPE BOURGET

Santísima Trinidad del Paraná. Ce site fera écho à tous ceux qui se rappellent le film « Mission », avec Robert de Niro. À l’extrême sud-est du pays, voilà la plus importante mission jésuite du Paraguay, l’un des 30 pueblos jesuíticas que compta le territoire partagé aujourd’hui entre le Paraguay, le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay, aux XVIIe et XVIIIe. Surprise et émotion devant ces ruines en piedra arenisca, un grès rouge râpeux, incandescent au soleil couchant. Elles évoquent un modèle de société fermée dont le but était d’évangéliser les Indiens guaranis, mais qui les protégea aussi du travail forcé imposé par les colons espagnols et des bandeirantes, ces chasseurs d’esclaves venus du Brésil. Avant d’être expulsés en 1767, les Jésuites avaient théorisé l’urbanisme des missions. À Trinidad, autour de l’immense plaza mayor, théâtre de la vie sociale, les casas dos Indios (logements des guaranis) se déploient sur trois côtés. Le dernier pan est occupé par l’église effondrée, jouxtée par le cloître, le collège et les ateliers. L’émotion l’emporte aussi à la mission Jesús de Tavarangué, quelques kilomètres plus loin, où l’on peut imaginer l’intense activité qui régnait dans les années 1 750. Au plus fort de l’occupation, de 3 500 à 4 000 Guaranis vivaient dans chacune des deux missions. Toutes deux sont classées depuis 1993 au Patrimoine mondial de l’Humanité.

Puisque l’on parle des Guaranis, la surprise est d’apprendre que près de 80 % des Paraguayens parlent leur langue, en plus du castillan. Obligatoire à l’école, elle est l’une des matrices de l’identité nationale. Cela ne va pourtant pas de soi dans un pays où les territoires indiens se sont rétrécis au fil du temps, victimes de la déforestation. Six ethnies guaranis vivent au Paraguay, pour une population estimée à 62 000 personnes. Adeptes de médecine douce et d’agriculture vivrière, leur culture ancestrale est timidement valorisée. On en découvre les fondements au Circuito Vivencial del Mundo Guaraní, un centre d’interprétation récent aménagé au bord du Lago Yguazú, dans l’Alto Parana, à l’est du pays.

Autre motif d’étonnement : la présence de communautés d’origine japonaise. À Yguazú, nous rencontrons Yatsuro Sonoda, 72 ans, animateur du musée des Immigrants japonais. Arrivé au Paraguay avec ses parents en 1962, après un long voyage en bateau, il s’est fixé dans ce village où il voua sa vie à l’agriculture. Exemple typique d’immigration entre un pays exsangue après la guerre et un autre avide de main-d’œuvre pour cultiver riz, coton et soja. 8 000 personnes d’origine japonaise vivent encore au Paraguay. Beaucoup de mariages mixtes ont été célébrés et la communauté d’Yguazú, fédérée autour de son temple bouddhiste, rassemble 900 personnes.

Ce qui frappe au Paraguay, c’est aussi l’omniprésence de l’eau. La lettre Y, universelle dans le pays, signifie d’ailleurs « eau », en guarani. Paraguay est le nom du rio qui traverse le pays du nord au sud et sépare sa partie ouest, sèche (le Chaco), de sa partie est, humide. La rivière arrose Asunción, la capitale. Large comme le sont tous les cours d’eau en Amérique du Sud, elle connecte le pays au port de Buenos Aires et à l’océan Atlantique, grâce au trafic fluvial.

Lorsqu’un pays n’a pas de mer, il se rabat sur ses rives fluviales ou lacustres pour s’inventer une vie balnéaire. Longtemps, le lac Ypacaraí, près d’Asunción, fut le rendez-vous attitré. Las, une pollution sévère a détourné la clientèle. Celle-ci se retrouve sur le nouveau hot spot « côtier » du pays, à Encarnación. Port fluvial posé sur le rio Paraná, l’autre puissant cours d’eau du pays, il marque la frontière avec l’Argentine. Ciudad del Este est aussi une ville de fleuve. Le rio Paraná la sépare du Brésil et chaque matin, des hordes de piétons, motos, voitures et camions franchissent el Puente de la Amistad pour alimenter le bazar commercial de la ville. Plus au nord, Itaipu incarne cette prééminence des fleuves. Partagé avec le Brésil, le plus puissant barrage du monde et ses 12 km de large assure l’approvisionnement électrique d’un pays dont la singularité motive assurément le voyage.

Philippe Bourget
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Source : Le Quotidien du médecin