Diagnostiquer ou prendre enfin en charge notre système de santé ?

Publié le 17/06/2022
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VU PAR LE Dr MATTHIEU CALAFIORE - Le monde de la santé va mal. Constat connu et largement partagé, sur lequel il n'est désormais plus temps de s'attarder. Maintenant il faut passer à l'action, en associant tous les soignants et en tordant le cou aux principaux maux du système de soins : à commencer par l'hospitalocentrisme et l'insuffisante régulation aux urgences. Et puis cessons de faire des acteurs de la médecine ambulatoire les éternels boucs émissaires de la situation.

Crédit photo : DR

Quand un patient vient nous voir en consultation, qu’il nous expose les motifs qui l’ont poussé à prendre contact avec nous, nous l’écoutons, essayons de comprendre de quoi il peut souffrir en formulant quelques hypothèses diagnostiques. Puis nous l’examinons, tentons de confirmer ou d’infirmer ces hypothèses, posons un diagnostic qui contient toujours une part d’incertitude. Enfin, nous proposons une prise en charge au patient ainsi qu’un suivi et une réévaluation.

S’il nous prenait l’envie de considérer le système de santé français comme nous prenons en charge un patient, qu’obtiendrions-nous ?

Premièrement, le motif de consultation serait le constat que notre système est à bout de souffle et sur le point de s’effondrer. Notre consultation se déroulant dans un huis clos avec secret médical, nous pourrions sans peine dire qu’il s’effondre, sans crainte d’un courroux ministériel.

Nous pourrions ensuite élaborer quelques premières hypothèses diagnostiques sur ce qui a conduit notre patient (le système de santé) au bord de ce gouffre. Une succession de fausses bonnes idées (diminuer le nombre de médecins pour dépenser moins pour la santé, supprimer l’option médecin référent en milieu ambulatoire, vouloir augmenter les capacités de soin plutôt que de renforcer la prévention…) et de problèmes conjoncturels (vieillissement de la population, pandémie…).

Et ce serait exactement à ce moment-là que le patient nous sortirait son dossier médical. Dossier d’une épaisseur presque aussi importante que la profondeur du gouffre devant lequel notre système de santé se trouve. Nous pourrions alors constater que les mêmes hypothèses diagnostiques ont été maintes et maintes fois formulées. Pire encore, le patient-système de santé a été examiné, à ne plus vraiment pouvoir dire combien de fois en tout, et nombre de ces hypothèses ont été confirmées par ces divers examens cliniques. Il ne resterait que peu d’incertitude sur la gravité de l’état de santé de notre patient-système de santé.

Et, à ce moment précis, nous aurions un appel des pouvoirs publics commanditant une énième « mission flash » une nouvelle démarche diagnostique. Un peu comme si nous étions coincés dans une forme de jour sans fin, condamnés à perpétuellement constater que notre système de santé va imploser, en faire le diagnostic mais ne jamais passer à la phase de prise en charge pour tenter d’améliorer, voire de guérir, ce système de santé.

Une refonte complète indispensable 

Le constat est pourtant sans appel et depuis de nombreuses années : il nous faut penser une refonte complète de notre système. En finir avec l’hospitalo-centrisme qui revient à penser que les seuls soins dignes d’intérêt sont prodigués dans une structure hospitalière et que les soins de premiers recours ne sont là que pour traiter des petits bobos sans réel intérêt (ce qui montre, au passage, l’étendue du manque de connaissance de ce que sont les soins de premiers recours). En finir avec le recours possible aux urgences à toute heure du jour ou de la nuit, même pour des motifs non urgents, en régulant les accès, car le paradigme qui prévaut actuellement est celui de laisser penser que la santé c’est comme on veut, quand on veut et où on veut. Cesser également de laisser pérorer des représentants de certaines structures trop enclins à allumer des contre-feux en pointant du doigt ces professionnels ambulatoires qui devraient prendre « toute leur part » dans la guérison du système (comme s’ils se tournaient les pouces jusqu’alors). Ces contre-feux n’existant que pour masquer combien certaines structures de soin maltraitent ceux qui y travaillent.

Nous perdons notre temps en diagnostics répétés qui aboutissent toujours aux mêmes conclusions. Il est temps de passer à l’action pour sauver notre patient-système de santé avant qu’il ne soit trop tard. Certains pessimistes diront que le point de non-retour est même déjà franchi…

Mais pour réformer un système de santé, il faut y associer tous les acteurs qui doivent pouvoir proposer chacun un maillon de cette réforme. Il faut arrêter de penser, par exemple, qu’un généraliste sait exactement ce qui se passe dans un service d’oncologie hyperspécialisé, tout comme un oncologue, si brillant qu’il puisse être, n’a aucune idée de ce qui se passe dans le cabinet d’un généraliste.

S’il y a une urgence indiscutable et indiscutée, c’est qu’il faut agir et vite. Et en finir avec des divertissements à coups de missions flash…

Voltaire disait : « L'art de la médecine consiste à distraire le malade pendant que la nature le guérit. ». Malheureusement, dans le cas de notre patient-système de santé, la nature ne peut plus rien faire.

Exergue : Il faut agir et vite. Et en finir avec des divertissements à coups de « missions flash »…

Dr Matthieu Calafiore

Source : Le Quotidien du médecin