Et surtout la santé, Docteur !

Publié le 20/01/2023
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PAR LE DR MATTHIEU CALAFIORE - Le mois de janvier étant celui des vœux, les patients nous les présentent avec plus ou moins la même phrase énoncée à quasi toutes les consultations « Et surtout la santé, Docteur ! ». Celle-ci est, au mieux, une façon de tenter de conjurer le sort qui pourrait s’abattre sur eux pendant cette nouvelle année, au pire, une façon de nous dire « je compte sur vous pour veiller à ma bonne santé, Docteur ».

Fait inédit, le président de la République a également présenté ses vœux aux professions de santé. Il y a beaucoup été question de l’hôpital. Beaucoup trop, même. Certes, c’est un euphémisme de dire que l’hôpital ne va pas bien : sa situation est gravissime et l’ensemble des personnels, à tous les maillons de la chaîne de soin, sont à bout de souffle. Il y a tant de dysfonctionnements qu’il en devient difficile d’en faire un inventaire exhaustif. Bien entendu, la tarification à l’activité (T2A) et sa logique comptable sont particulièrement en cause dans l’évolution désastreuse de notre système hospitalier. Mais il ne faudrait pas oublier pour autant les conditions de travail imposées à tous les personnels, les horaires sans cesse modifiés, les vacances annulées… Sans compter non plus les contraintes administratives imposées à des soignants qui parfois passent plus de temps à gérer des « critères qualité » qu’à pouvoir être au chevet des patients.

La ville et ses soignants n’ont été que très peu abordés, sauf pour saluer les médecins généralistes qui acceptaient de sacrifier leur pause du midi (parfois déjà réduite à sa plus simple expression) pour voir davantage de patients, ou pour souligner que l’État était prêt à concéder quelques avancées aux soignants à condition d’accroître leurs devoirs envers la population. Comme s’il suffisait de quelques euros pour que d’un seul coup, un système exsangue reprenne des couleurs.

Car le problème de notre système de santé est bien plus profond : nous manquons de soignants, nous manquons de temps de soin et de structures adaptées à l’état de santé de certains patients. Mais rien n’est jamais pensé ou imaginé pour diminuer autant que possible le recours des patients à ce système de santé au bord de l’implosion. Nous avons un ministre de la Santé et de la Prévention… Mais il n’a nul été question de mettre l’accent sur cette dernière. Bien sûr, il y a ces fameuses consultations à 25, 45 et 65 ans intégralement remboursées, mais gageons qu’elles ne régleront en rien le déficit cruel de prévention en France. Car, plutôt que de crier à hue et à dia qu’il n’est pas normal de ne pas trouver un généraliste jusqu’à 23 heures la semaine et les week-ends partout en France, nous devrions entendre qu’une explication aux patients est nécessaire sur comment se rendre encore plus acteur de leur santé en listant les signes de gravité nécessitant un examen médical rapide, en opposition à ceux qui ne nécessitent qu’un peu de temps. Cela pourrait éviter bien du temps perdu d’abord par les patients, en consultation chez le généraliste ou en recours aux urgences des services hospitaliers. Cela permettrait aussi de mettre à profit ces nouveaux métiers de la santé qui sont peu à peu créés, mais dont les acronymes sont faussement agités comme autant d’épouvantails par certains soignants, notamment généralistes, pour tenter de maintenir le pré carré d’une organisation des soins dont l’avenir ne peut plus être une simple copie de celle que nous avons connue.

Tant que nous ne voudrons pas réformer en profondeur notre système de santé, en concertation avec tous ses acteurs, tant que nous continuerons à plaider le statu quo en exigeant des soignants épuisés qu’ils en fassent encore plus pour faire tenir un système de soins moribond, tant que personne ne voudra reconnaître que les décisions prises ces trente dernières années nous ont conduits collectivement à ce fiasco, tant que nos dirigeants se contenteront de croiser les doigts pour éviter l’implosion, nous continuerons d’avancer droit dans le mur, pied au plancher.

Et d’entendre certains dire que l’intelligence artificielle voire le métavers vont nous sauver, ne fait qu’accentuer le rire nerveux des soignants, tant il faut être au contact des malades pour savoir que rien ne remplacera jamais l’écoute et l’humanité dans la relation médecin patient.

Alors, en attendant, les soignants se disent tout bas, sincèrement et humblement, « je tâcherai de faire de mon mieux » quand les patients souhaitent, depuis le début du mois, « Et surtout la santé, Docteur ! »

Dr Matthieu Calafiore

Source : Le Quotidien du médecin