Infection par le virus Monkeypox : ni singe, ni variole, mais une alerte sérieuse

Publié le 27/05/2022

VU PAR LA Pr KARINE LACOMBE - La multiplication de cas de personnes atteintes par la « variole du singe » depuis plusieurs semaines dans le monde pose la question de ses modes de transmission, de sa pathogénicité  et des traitements disponibles pour y faire face. Il va falloir y apporter rapidement des réponses pour ne pas tomber dans l'angoisse collective qui immanquablement se manifesterait en cas d'irruption d'une nouvelle épidémie non contrôlée.

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

À peine sortis de la crise Covid-19 (mais toujours en pleine pandémie…), nous voici plongés depuis quelques jours dans ce qui pourrait être qualifié d’« alerte sérieuse ». En l’absence de crise sanitaire récente, peut-être n’aurait-on pas apporté une attention aussi aiguë dans les médias et dans la communauté médicale à ces cas groupés d’infections à virus monkeypox. En effet, ce n’est pas la première fois que la « variole du singe », endémique sur le continent Africain, est identifiée en Europe, le plus souvent rapportée par des voyageurs lors de leurs déplacements en Afrique de l’Ouest, et plus particulièrement en provenance du Nigeria.

Le tableau clinique classique est constitué d’un syndrome fébrile pseudo-grippal suivi d’une éruption vésiculo-pustuleuse puis croûteuse, en une seule poussée qui n’épargne ni les paumes des mains et les plantes des pieds, ni les muqueuses (lésions anales et génitales dans les cas récents, au contraire de la varicelle avec laquelle elle peut être initialement confondue). La résolution est spontanée en 2 à 3 semaines après une période d’incubation de 1 à 3 semaines. L’agent infectieux responsable est un virus dit « Monkeypox », d’où le terme abusif de variole du singe (pour smallpox et monkey en anglais), de la famille des poxviridae, genre orthopoxvirus.

De déclaration obligatoire en France (catégorie « orthopoxviroses dont la variole »), cette maladie est à l’origine une zoonose transmise en milieu forestier avec les rongeurs comme probable réservoir animal. Il existe deux lignées virales (appelées également clades) décrites actuellement, celle d’Afrique de l’Ouest et celle du bassin du Congo, la deuxième s’accompagnant d’une létalité plus élevée (10 % versus 1 % pour la première). Les modes de transmission rapportés sont à ce jour les contacts directs interindividuels ou avec des animaux infectés, mais il est également décrit une transmission respiratoire par inhalation de grosses gouttelettes.

Le seul traitement disponible curatif et potentiellement actif sur les orthopoxvirus, le tecovirimat, n’a encore jamais été utilisé à large échelle. À ce jour, le traitement est essentiellement préventif (en particulier pour les cas contacts), par le vaccin contre la variole qui présente une efficacité croisée contre le virus monkeypox, ce qui explique que les personnes nées avant 1977 présentent des anticorps protecteurs qui constituent une barrière efficace à la propagation de cette infection virale.

Plusieurs cas sporadiques ont touché l’Europe et les États-Unis depuis 6 ans, tandis que des épidémies plus importantes ont été rapportées en Afrique de l’Ouest ou en République démocratique du Congo depuis 1970. Que se passe-t-il donc depuis deux semaines en Europe (particulièrement au Royaume Uni, en Espagne et au Portugal, avec à ce jour trois cas rapportés en France), puis maintenant un peu partout dans le monde ? Un premier cas a été diagnostiqué le 7 mai 2022 chez un voyageur originaire du Royaume Uni qui est allé puis est revenu du Nigeria. Aucun cas secondaire direct n’a été mis en évidence malgré une application stricte du tryptique « dépister – isoler – tracer ». Mais dans les jours qui ont suivi, plusieurs dizaines de cas ont été déclarés à travers l’Europe, avec comme caractéristique commune à la plupart de ces cas de survenir chez des hommes jeunes ayant fréquenté des lieux de convivialité masculins.

Ce qui frappe en premier lieu, c’est la rapidité de propagation des cas, unique à ce jour en dehors de l’Afrique. L’enquête épidémiologique couplée à l’investigation virologique (en particulier le séquençage des souches virales) permettra d’établir un lien éventuel entre toutes ces infections (car il semble y avoir une unité de temps à cette épidémie, à défaut d’avoir à ce jour mis en évidence une unité de lieu, qui sera peut-être identifiée à la faveur de l’enquête).

Il faudra ensuite se poser la question d’une éventuelle évolution de la virulence et des modes de transmission de ce virus monkeypox : sa diffusion très rapide est-elle due à des contacts rapprochés et nombreux entre le ou les cas index et les cas secondaires ? Est-ce que de nouveaux modes de transmission vont être identifiés ? Dans une autre épidémie, celle à virus Zika, une transmission sexuelle avait été finalement observée alors qu’elle est habituellement vectorielle par les moustiques Aedes.

Et enfin, est-ce que la pathogénicité de ce virus monkeypox est modifiée par rapport aux tableaux classiquement décrits, surtout grave chez les personnes immunodéprimées, les femmes enceintes (avec des morts in utero) et les jeunes enfants ? Autant de questions auxquelles il va falloir apporter une réponse rapide pour ne pas retomber dans l’angoisse collective qui résulterait d’une nouvelle épidémie non contrôlée. Car déjà la désinformation prolifère sur les réseaux sociaux (« on va vacciner de force nos enfants », « l’OMS avait prévu l’épidémie à deux jours près »), et on a vu la défiance envers médecins et scientifiques qu’elle a entraînée depuis deux ans !

Pr Karine Lacombe
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Source : Le Quotidien du médecin