Jusqu’à quand pourrons-nous faire preuve de résilience ?

Publié le 31/03/2023
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Le 25 mars 2020, le président de la République lançait l’opération baptisée « Résilience » dans le cadre de la lutte contre le SARS-CoV-2. Deux ans plus tard, la résilience est presque devenue une stratégie de communication. Mais jusqu'à quand les soignants feront preuve de résilience...

On dit aux infirmières qu'elles n’ont plus le temps d’écouter le patient car elles ont un rendement à assurer

On dit aux infirmières qu'elles n’ont plus le temps d’écouter le patient car elles ont un rendement à assurer
Crédit photo : Burger/Phanie

La résilience est « l’aptitude d’un individu à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques ». En d’autres termes, subir un traumatisme, comme la survenue d’une pandémie et réussir à le surmonter pour continuer à aller de l’avant. Est-ce une façon de se rendre imperméable aux événements extérieurs ou une capacité d’intégrer ces mêmes événements pour moins s’y exposer ? L’être humain peut-il s’habituer à tout ?

Et les soignants, peuvent-ils s’habituer à tout ? Y a-t-il un jour où côtoyer la mort des patients dont nous prenons en charge les soins est vécu « de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques » ? Peut-on un jour accepter leur disparition parfois prématurée à cause d’un virus que nous aurions pu éviter ? Depuis les applaudissements à 20 heures en mars 2020 à la désignation des soignants à la vindicte populaire dès 2021, est-ce cela la résilience ?

Être toujours moins pour soigner toujours plus de patients

À bien y réfléchir, cela fait de très nombreuses années que les pouvoirs publics s’appuient sur la résilience des soignants pour organiser les parcours de soins de nos concitoyens. Cela a commencé par le fait d’être toujours moins nombreux pour soigner toujours plus de patients. Au point d’en arriver à presque écœurer des infirmières ou des aides-soignantes hospitalières à qui on dit qu’elles n’ont plus le temps d’écouter le patient car elles ont un rendement à assurer. Au point aussi que certains professionnels de santé, pourtant parmi les plus motivés et dévoués à leur métier, ont songé ou songent régulièrement à une reconversion dans un corps de métier n’ayant rien à voir avec la médecine ou le soin. La pénurie hivernale d’antibiotiques a également testé la résilience des soignants en les plaçant pendant plusieurs semaines devant des injonctions paradoxales : les recommandations de bonne pratique imposent un antibiotique, mais l’état des stocks nous a parfois contraints à en prescrire un autre, voire à en indiquer plusieurs sur l’ordonnance, comme un fonctionnement en mode « dégradé » du système de santé, où ce que les soignants peuvent vraiment faire concrètement est aux antipodes de ce qu’ils devraient faire pour bien prendre en soin les patients.

Dans l’organisation de l’offre des soins, là encore, la résilience est de mise. Les récentes négociations conventionnelles ont véhiculé le message auprès des médecins, qu’ils étaient trop cher payés pour ce qu’ils faisaient et que s’ils voulaient gagner plus, il leur fallait travailler davantage, pour en quelque sorte mériter ce droit à être augmenté moins que l’inflation cumulée de ces dernières années. Nous avons été montrés du doigt comme les enfants gâtés pourris voulant un soi-disant treizième mois, tout en insistant sur le fait qu’il n’était pas normal que nous refusions des patients, toujours plus nombreux à être sans médecin traitant, conséquence des décisions politiques cumulées de ces dernières décennies. Violence des propos dans les médias et dans le message véhiculé dans l’inconscient collectif, à mettre en miroir avec le fait que ces mêmes soignants montrés du doigt ont continué à assurer leurs consultations, leurs gardes, leurs astreintes, dans des conditions de travail n’ayant pas encore atteint le point culminant de leur détérioration.

Le jour où les soignants jetteront l'éponge…

La résilience est presque devenue une stratégie de communication. Voire une obligation morale, ou même un aveu de faiblesse pour qui ne saurait en faire preuve. C’est ainsi que l’on entend souvent dire aux soignants que personne ne les a forcés à embrasser cette carrière, que s’ils ont signé pour exercer ces fonctions, c’était en connaissance de cause, et qu’ils feraient mieux de se taire plutôt que d’être dans une « pleurniche permanente », telle que j’avais pu moi-même me l’entendre dire sur un plateau de télévision. Les soignants aiment leur métier. Ils aiment apporter soin et réconfort à leurs patients, les guérir quand cela est possible, ou les accompagner pour une vie la plus douce possible le cas échéant. Le système tient debout grâce à eux. Grâce à nous. Mais nombreux sont les signaux qui devraient alarmer et inquiéter. Car le jour où les soignants jetteront l’éponge, quand le calice de leur résilience aura été bu jusqu’à la lie, c’est le système tout entier qui va subir le traumatisme. Sans plus personne pour continuer à « construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques ».

Dr Matthieu Calafiore

Source : Le Quotidien du médecin