Lancée en janvier par la commission des Affaires sociales du Sénat, la mission d’information sur la financiarisation de l’offre de soins livre ses conclusions ce mercredi 25 septembre. Les trois auteurs – Corinne Imbert (apparenté LR), Olivier Henno (UDI) et Bernard Jomier (Place publique) – du rapport intitulé « Financiarisation, une OPA sur la santé ? » appellent à agir.
La financiarisation est un processus par lequel des acteurs privés entrent dans un secteur avec comme objectif de rémunérer leur investissement. En santé, le système de soins est en passe d’évoluer d’un capitalisme professionnel – où les soignants maîtrisent les moyens de production – à un capitalisme financiarisé, où les investisseurs ont le contrôle. Ces derniers s’immiscent dans l’offre de soins, car ce marché de la santé est rentable et sûr, en raison de la croissance continue de la demande et d’un financement garanti par l’État.
L’accélération de ce processus a commencé au début du siècle. Entre 2014 et 2023, la santé est le troisième secteur ciblé par les acteurs du capital-investissement, avec 18 % des montants investis, derrière l’industrie (26 %) et les biens et services de consommation (22 %).
L’ampleur du phénomène a surpris le Dr Jomier, l’un des rapporteurs, notamment « l’inventivité des sociétés financières pour détourner la loi ». Le généraliste parisien dénonce, un brin excédé, les « un, deux ou trois milliards – soit plus que les dépenses de l’aide médicale d’État ! – d’argent, issu des prélèvements obligatoires, qui sortent du système de santé, de façon opaque, pour rémunérer des sociétés financières, y compris à l’étranger ».
• La biologie, première cible en ville
Stratégique pour les investisseurs (puisque 70 % des décisions médicales sont prises à partir d’examens biologiques), la biologie est le secteur le plus financiarisé en santé. Au fil des ans et des rachats, le nombre de structures juridiques a baissé significativement, de 2 625 en 2009, à 377 en 2021. En parallèle, la rentabilité du secteur est passée de 18 % en 2016 à 23 % en 2020. Aujourd’hui, six groupes privés (Biogroup-LCD, Cerballiance, Inovie, Synlab, Eurofins et Unilabs), concentrent à eux seuls 62 % des sites. Ces proportions varient toutefois d’une région à une autre, de 82 % en Occitanie, à moins de 30 % en Corse.
Les sénateurs notent que les règles entourant les laboratoires de biologie médicale (LBM) « n’ont pas permis de maîtriser ce mouvement de financiarisation ». Pendant la crise Covid, les laboratoires ont vu leur chiffre d’affaires passer de 5,1 milliards d’euros en 2019 à 9,4 milliards en 2021, soit une hausse de 85 %. Dans ce contexte facilitant, Biogroup, par exemple, a absorbé une centaine de laboratoires.
• La radiologie, très menacée
Le marché de l’imagerie médicale enregistre 3 milliards d’euros de recettes annuelles, avec des valorisations de groupes pouvant atteindre 13 à 15 fois l’excédent brut d’exploitation. Les sénateurs estiment qu’aujourd’hui, 20 à 30 % du secteur seraient financiarisés. Le terreau y est fertile : les détenteurs de cabinets indépendants sont à la recherche de repreneurs, le besoin d’investissement technologique est important et régulier ; enfin, la croissance d’activité est assurée par le vieillissement, les maladies chroniques, etc.
À ceci s’ajoute la tendance au regroupement des radiologues, qui exercent à 90 % au sein de structures comptant 12,8 salariés en moyenne, favorisé par la mutualisation des investissements ; alors, qu’en parallèle, les praticiens sont confrontés à une augmentation des coûts liés à l’installation. Mais, notent les sénateurs, les structures actionnariales sont diverses : France Imageries territoires, par exemple, compte 400 radiologues rassemblées au sein d’une holding représentant 90 % de l’actionnariat du réseau.
• Les très juteux centres de santé
Les 3 000 centres de santé (CDS) français connaissent une croissance dynamique ces dernières années (+36,7 % de 2020 à 2023) et ne sont pas épargnés par la financiarisation.
Les sénateurs constatent « une multiplication du nombre de centres dentaires et ophtalmologiques » après la loi Bachelot de 2009, qui a supprimé l’obligation d’agrément préalable à la création de ces structures. Ces centres se prêtent particulièrement au recours à des capitaux extérieurs, en raison des plateaux techniques coûteux.
Le rapport sénatorial pointe les « dérives marchandes », amenant des centres à « concentrer leur activité sur des actes rémunérateurs à la pertinence contestable ». Le syndicat des ophtalmos (Snof) estime que 73 % des séances d’examen comprenaient une facturation d’actes orthoptiques en CDS, contre 11 % en cabinet libéral. La difficulté étant de tracer les actes réalisés par les professionnels, puisque la facturation est réalisée sous le seul numéro Finess de l’établissement. Ce qui permet des pratiques frauduleuses que la Cnam n’a de cesse de traquer.
• La marche des établissements à but lucratif
La financiarisation des établissements à but lucratif a commencé tôt, dans les années 2000. Elle s’est manifestée par l’intervention de fonds d’investissement dans le capital des groupes et par la réalisation d’opérations de fusions‑acquisitions servant des stratégies de croissance externe. Ce nouveau modèle de financement a progressivement imprégné le secteur en parallèle du processus de concentration des cliniques au sein de grands groupes privés. Aujourd’hui, Ramsay Santé, Elsan, Vivalto et Amalviva concentrent près de la moitié du marché français.
La réussite de ces groupes s’explique, écrivent les sénateurs, par leur capacité à réaliser des investissements massifs et des économies d’échelle tout en mutualisant les coûts (notamment sur les fonctions supports). « Le fort investissement des groupes dans le secteur privé hospitalier a permis de meilleurs équipements. Nous ne disons pas que c’est négatif, car le débat n’est pas sur la privatisation, recadre Corinne Imbert. Le débat porte sur la financiarisation, sur le taux de rentabilité et où part l’argent. »
• Des pistes pour réguler sans interdire
Les sénateurs formulent 18 recommandations de régulation pour « limiter les conséquences indésirables » de la financiarisation, jugeant « nécessaire » la définition d’un cadre « permettant de garantir la primauté des objectifs de santé sur les enjeux financiers ». Pour cela, les élus entendent mieux protéger le pouvoir décisionnel des soignants au sein des sociétés d’exercice libéral (SEL). Ou encore empêcher les investissements purement spéculatifs et prévenir le retrait non anticipé de capitaux.
Un autre volet concerne le renforcement du contrôle ordinal et juridictionnel, en consacrant dans la loi la notion de « contrôle effectif » sur les sociétés des professionnels y exerçant, après avoir établi une doctrine claire avec les acteurs. De surcroît, les sénateurs veulent interdire toute clause soumettant la transmission de documents contractuels aux ordres professionnels à l’accord préalable de l’investisseur.
En ville, les sénateurs appellent à soutenir les modèles alternatifs de financement et à veiller à ce que les tarifs conventionnels permettent la viabilité financière des structures indépendantes. Sur le même sujet, ils appellent aussi à renforcer la politique de contrôle de l’activité des centres de santé.
Enfin, sur le volet de l’organisation territoriale de l’offre de soins, les élus recommandent aux ARS d’utiliser davantage les autorisations d’activités de soins et d’équipements matériels lourds, dont le nombre est limitatif, comme levier pour prévenir les déséquilibres territoriaux entre public et privé. Ils suggèrent également aux agences de conditionner l’ouverture des centres de soins non programmés, qui poussent de façon anarchique sur tout le territoire.
Toutes ces propositions sont susceptibles d’être formulées dans le prochain budget de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025. Mais, comme le note le Dr Jomier, il relève « surtout » de la responsabilité de l’exécutif de se saisir de ces questions. « Nous avons laissé trop de liberté à tous ces acteurs, conclut Olivier Henno. L’enjeu ici n’est pas d’interdire mais de réguler, afin que l’intérêt général reprenne ses droits. »
Pas de surrisque pendant la grossesse, mais un taux d’infertilité élevé pour les femmes médecins
54 % des médecins femmes ont été victimes de violences sexistes et sexuelles, selon une enquête de l’Ordre
Installation : quand un cabinet éphémère séduit les jeunes praticiens
À l’AP-HM, dans l’attente du procès d’un psychiatre accusé de viols