Addictions : la Mildeca déploie sa stratégie interministérielle 2023-2027

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Publié le 14/03/2023
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Crédit photo : Voisin/Phanie

La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) vient de publier la stratégie 2023-2027. Il s'agit de la première édition de ce texte qui fixe les grandes lignes de la stratégie de lutte contre les addictions en France. Le précédent plan couvrait la période 2018 à 2022. « La stratégie se déclinera à travers d'autres plans comme le programme national de lutte contre le tabagisme, le futur plan de lutte contre les traffics de stupéfiants, les feuilles de route des préfets et les projets régionaux de santé des ARS », résume le Dr Nicolas Prisse, président de la Mildeca.

Concomitamment, la Mildeca a publié une évaluation de l'impact du plan 2018-2022. Un bilan sur lequel s'est appuyée la Mildeca. « L'application de ce plan comporte des échecs et des succès », explique le Dr Prisse. Au chapitre des réussites : la débanalisation de l’usage du cannabis qui s'est accompagnée d'une diminution des usages chez les jeunes confirmés par la dernière étude Escapad de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT).

Les interdits protecteurs trop peu respectés

En ce qui concerne les points négatifs, la Mildca reconnaît une difficulté à faire respecter les « interdits protecteurs », c’est-à-dire l'interdiction de vente aux mineurs. Le plan 2018-2022 concentrait ses efforts sur l'information, la formation des débitants et l'incitation des différents acteurs. « Des engagements avaient été pris par les opérateurs de jeux de hasard, les grandes surfaces, les buralistes… mais on s'est rendu compte que ce n'était pas suffisant, constate Valérie Saintoyant, déléguée de la Mildeca. Nous souhaitons donc maintenant mettre l'accent sur le contrôle et les sanctions. La vente aux mineurs est encore trop forte en France. » Il n'est pas prévu de créer de nouvelles sanctions, mais de s'assurer que celles qui existent déjà soient bien appliquées et mieux ciblées.

La famille constitue un des grands champs de bataille de la nouvelle stratégie qui entend en « promouvoir le rôle clé », « casser les chaînes de transmission intergénérationnelle » et améliorer le milieu de vie, à commencer par celui de l'enfant à naître. « L'alcoolisation fœtale reste la première cause de retard mental en France, l'exposition fœtale au tabac et au Cannabis est aussi encore un gros problème, détaille le Dr Prisse. Dès qu'il y a un projet de grossesse, il faut arrêter ce genre de consommation. »

La stratégie entend impliquer les services de protection maternelle et infantile. Et les programmes de renforcement des compétences psychosociales dès la maternelle et l'école élémentaire (à l'image du programme Primavera pour les 9 à 12 ans) sont au centre du dispositif ainsi que l'éducation des parents. « Cela ne sert pas à grand-chose d'éduquer les enfants sur les risques à long terme, en revanche, il faut que les parents soient informés », rappelle le Dr Prisse.

Autre chiffre que les autorités aimeraient voir baisser : 44 % des enfants de 11 ans ont déjà expérimenté de l'alcool. La stratégie prévoit d'intégrer neuf compétences psychosociales dans les pratiques pédagogiques et éducatives, de la maternelle à l’enseignement secondaire, sans oublier l'enseignement professionnel, l'apprentissage ou agricole.

Un prix minimum pour l'alcool ?

Longtemps considérée comme un tabou, la question du prix minimum par volume d'alcool est évoquée dans le document interministériel. Selon un travail de l’École d’économie de Paris et de l’Inrae soutenu par la Mildeca, une politique de prix minimum (0,50 euro par verre standard) a une meilleure efficacité qu'une augmentation des taxes : cela se traduirait par une baisse de 15 % de consommation d'alcool pur. Autre argument en faveur du prix minimum : il ne pénaliserait que les alcools bas de gamme, principalement importés. Les alcools produits en France ayant d'ores et déjà un prix supérieur à celui proposé par l'Inrae. « Il faut maintenant évaluer l'impact que cette mesure a pu avoir dans les pays qui l'ont appliquée comme l'Écosse, explique Valérie Saintoyant. Cette mesure aurait la vertu de toucher surtout les alcools forts très consommés par les publics à risque. »

La déléguée de la Fédération Addiction Marie Öngün-Rombaldi reste quant à elle, prudente sur le dossier du prix des alcools : « Il faudrait veiller à ce que cette mesure n'alimente pas les trafics, alerte-t-elle. Il ne faudrait pas que les consommateurs, et en particulier les plus précaires à la recherche d'une alcoolisation très rapide, ne se tournent vers des réseaux de contrebande. »

Le texte prend en outre acte de la décision de la cour de justice de l'Union européenne sanctionnant la politique de la France, qui interdisait la vente et la production de CBD naturel (le CBD de synthèse n'a jamais été interdit) au nom de la libre circulation des marchandises au sein de l'Union. Une avancée trop timide pour la Fédération Addiction qui souhaiterait que la France s'engage sur le chemin de la dépénalisation de l'usage du cannabis. « On reste sur le " tout répressif ", déplore Marie Öngün-Rombaldi. Pour lutter contre les stigmatisations et respecter les droits des usagers, il faut dépénaliser. Si on les criminalise, on gêne leur accès aux soins. »

Corriger le défaut d'accès aux soins

La prise en charge de l'addiction est très lacunaire en France : moins de 20 % des personnes présentant un trouble de l’usage de substances bénéficient d’une prise en charge et seul un tiers des patients dépendants à l’alcool a demandé de l’aide à un médecin. Cet état de fait est en partie lié à une offre de soins trop faible : 62 % des médecins généralistes n’ont pas suivi de formation spécifique en addictologie et 55 % d’entre eux ont du mal à parler d’alcool quand le sujet n’est pas l’objet de la consultation.

La stratégie entend y remédier en dotant les professionnels de référentiels de bonnes pratiques, en formant les infirmiers de pratique avancée à l’addictologie et en intégrant le repérage et la prise en charge des troubles du spectre de l'alcoolisation fœtale (TSAF) dans la stratégie nationale autisme. « L'important est de repérer les comportements suffisamment tôt, avant qu'il y ait des dommages, précise le Pr Prisse. Nous travaillons avec le Collège de médecine générale pour rassurer les médecins vis-à-vis des outils de dépistage et de repérage simples. »

Cette volonté d'élargir l'accès aux soins risque de se heurter au vieillissement démographique des addictologues. « Il y a un problème de recrutement qui va se poser au cours des prochaines années dans l'ensemble du médicosocial », explique Valérie Saintoyant.

La stratégie reprend également des éléments de la loi de 2016 sur l'accès aux soins en prison. « Dans les faits, la loi n'est pas encore appliquée, regrette Marie Öngün-Rombaldi. Il n'y a toujours pas de programme d'échange de seringues et le phénomène des consommations en prison est toujours nié. »

Les haltes soins addictions

Les haltes soins addictions (nouveau nom des salles de consommation à moindre risque) sont reconnues comme un moyen efficace de lutte contre les addictions au sein des publics les plus précaires. « C'est une bonne nouvelle », se réjouit Marie Öngün-Rombaldi, rappelant la farouche opposition du ministre de l'intérieur Gérald Darmanin. La stratégie met en avant l'évaluation positive par le rapport d'expertise demandé par la Mildeca.

« Maintenant que c'est inscrit dans la stratégie interministérielle, il faut y aller ! On espère que cela ne restera pas une simple déclaration de bonne intention », exhorte Marie Öngün-Rombaldi.


Source : lequotidiendumedecin.fr