Cancer de l’œsophage : l’immunothérapie adjuvante change la donne !

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Publié le 18/03/2022
Une première immunothérapie, le nivolumab, bouleverse les pratiques en traitement adjuvant des cancers de l’œsophage réséqués, avec persistance d’un résidu tumoral après radiochimiothérapie néoadjuvante. Cet anticorps monoclonal anti-PD1 double la durée de survie sans récidive.
Environ 4 500 cancers de l’œsophage sont diagnostiqués chaque année en France, dont 75 % chez l’homme

Environ 4 500 cancers de l’œsophage sont diagnostiqués chaque année en France, dont 75 % chez l’homme
Crédit photo : phanie

Environ 4 500 cancers de l’œsophage sont diagnostiqués chaque année en France, dont 75 % chez l’homme. Avec 10 à 15 % de survie à cinq ans, le pronostic est sombre, dû au cancer souvent découvert tardivement (stade métastatique) et au mauvais état général des malades. Jusqu’alors, le traitement des formes localisées résécables était en réalité uniquement néoadjuvant, à base de radio-chimiothérapie (voire de la chimiothérapie seule dans les cancers de la jonction œsogastrique) avant la chirurgie, dans l’optique de réduire les fréquentes récidives. « Nous avions un déficit de traitement des tumeurs de l’œsophage alors qu’il s’agit du troisième cancer digestif le plus fréquent en France », indique la Pr Astrid Lièvre, qui a participé au premier essai international randomisé (CheckMate 577) évaluant dans ces tumeurs l’immunothérapie en adjuvant. Celui-ci a comparé le nivolumab, versus placebo, dans le cancer de l’œsophage (épidermoïde ou adénocarcinome) et de la jonction œsogastrique réséqué après une radiochimiothérapie néoadjuvante (avec persistance d’un résidu tumoral sur la pièce opératoire). 

Une survie sans récidive doublée

Après un suivi médian de 32 mois (14 mois minimum), les résultats actualisés sont très positifs (1), confirmant les données préliminaires à 24 mois publiées en 2021 (2). Le ratio des inclusions était de 2/1 avec 532 patients dans le bras nivolumab et 262 dans le groupe placebo. Le traitement devait être instauré entre un et quatre mois au maximum après la chirurgie, pour une durée de 12 mois, à raison d’une injection intraveineuse bimensuelle pendant les quatre premiers mois et mensuelle les mois suivants. « Concernant la survie sans récidive (objectif primaire), les derniers résultats confirment, voire ajoutent, un bénéfice supplémentaire comparativement aux premiers publiés en 2021, détaille la Pr Lièvre. La survie médiane sans récidive est plus que doublée : 22,4 mois dans le bras nivolumab contre 10,4 mois sous placebo, soit une réduction de 33 % du risque de rechute (HR = 0,67). Ces bénéfices sont retrouvés quels que soient les sous-groupes : selon le type histologique (avec un bénéfice encore plus marqué dans l’épidermoïde), le statut ganglionnaire et l’expression de PD-L1 (facteur prédictif de réponse à l’immunothérapie). Concernant la survie sans métastase à distance (critère secondaire), le bénéfice est également significatif : 29,4 mois sous nivolumab versus 16,6 mois dans le bras placebo (HR = 0,71) ». 

Des résultats extrapolables en France

« Ces résultats sont applicables en pratique clinique en France, souligne la Pr Lièvre. En effet, l’avantage de cette étude internationale est d’avoir un recrutement principalement occidental, en Europe et Amérique du Nord, ce qui diffère de la majorité des essais cliniques dans le cancer œsogastrique, souvent conduits dans les pays asiatiques. Pour cette raison, les résultats sont extrapolables aux populations caucasiennes, d’autant plus que le type histologique majoritaire était l’adénocarcinome de la jonction œsogastrique et du tiers inférieur de l’œsophage, de plus en plus fréquent en Europe ».

En termes de tolérance, les effets indésirables (EI) sévères (grades 3 et 4) sont identiques dans les deux bras (34 % et 32 % dans les bras nivolumab et placebo respectivement) et moindres pour les EI spécifiques au traitement (13 % versus 6 %). Seulement 9 % des EI sous nivolumab, contre 3 % sous placebo, ont entraîné l’arrêt du traitement. La fatigue, les diarrhées, le prurit, le rash cutané et l’hypothyroïdie étaient les principaux EI. Moins de 1 % des patients ont présenté un EI immunomédié sévère.

« Le nivolumab devient un standard de traitement, dans le cadre strict des conditions de réalisation de l’étude CheckMate 577, reconnaît la Pr Lièvre, ce qui nous incite fortement à prescrire en néoadjuvant une radiochimiothérapie plutôt qu’une chimiothérapie seule, notamment dans les adénocarcinomes de la jonction œsogastrique résécables ». Le nivolumab a déjà obtenu une autorisation de mise sur le marché de la part des autorités de santé américaines et européennes. En France, la Haute Autorité de santé lui a accordé le 25 janvier 2022 une autorisation d’accès précoce pendant une durée de douze mois dans cette indication précise, en attendant son remboursement.

(1) Moehler M et al. ESMO 2021. Abstr 1381P
(2) Kelly RJ. et al. N Engl J Med 2021;384:1191-1203

Hélène Joubert

Source : Le Quotidien du médecin