Le point de vue de Catherine Simonin

Cancer et pertes de chance : qui peut en mesurer les conséquences ?

Publié le 23/04/2021
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Compte tenu des effets délétères constatés lors des deux premières vagues, le pic épidémique actuel inquiète professionnels de santé, gestionnaires d'établissements et associations de patients. Même si les structures et les protocoles se sont adaptés, des reports de soins sont de nouveau à redouter en cancérologie, estime la vice-présidente de la Ligue Nationale contre le cancer.

Crédit photo : DR

Le 14 mars 2020, un avis du Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) proposait ceci, après consultation de 10 experts, pour la période crise sanitaire : le maintien à domicile des personnes atteintes de cancer, la substitution des médicaments anticancéreux par voie orale lorsque le protocole l’autorise et le report des chirurgies non urgentes, avec des critères de hiérarchisation des prises en charge afin d’accompagner les établissements et les professionnels dans leurs choix médicaux et éthiques.

Dans ce contexte, les établissements, les structures d’HAD, ainsi que les réseaux régionaux de cancérologie se sont réorganisés pour permettre la continuité des soins en dehors des hôpitaux : avec synthèse et diffusion des recommandations à destination des soignants, maintien des Réunions Pluridisciplinaires de Concertation (RCP) par visioconférence, développement de la télémédecine et de l’hospitalisation à domicile, etc.

Signaux de plus en plus inquiétants

Pourtant, des signaux alertent de plus en plus sur les effets non escomptés de ces politiques. Lors d’un débat organisé par France Assos Santé, l’ancien directeur général de l’Assurance Maladie, Nicolas Revel faisait état d’une diminution de 70 % des consultations médicales spécialisées de personnes en ALD depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Les professionnels de santé [1] et les associations dont la Ligue contre le cancer [2] témoignent des pertes de chance liées aux retards de dépistages et de diagnostics et aux reports de traitements et s'en inquiètent.

Des personnes malades en grande difficulté psychologique, se sentent abandonnées sans pouvoir accéder à un système de santé submergé. La ligne d’écoute de la Ligue reçoit des milliers d’appels de personnes inquiètes de ne plus pouvoir poursuivre le protocole indiqué lors de la consultation d’annonce. Au fil du temps, l’anxiété ne fait que croître devant ces réadaptations de leur parcours, en contradiction avec les recommandations initiales.

Après le premier confinement, une lettre ministérielle précisait : « ces déprogrammations doivent être effectuées tout en garantissant que les patients atteints de cancer (…) doivent être pris en charge dans les meilleures conditions possibles, soit en hospitalisation soit en ambulatoire »

L’agilité du système de santé n’est pas sans limite. La téléconsultation a en effet permis un suivi à distance des personnes, celles qui nécessitaient des suivis hospitaliers ont pu poursuivre leurs soins grâce à l’organisation de filières dédiées à l’oncologie. Cette réorganisation dans certains établissements a permis une continuité des soins acceptable. La ligue a, pour sa part, contribué à fournir les informations attendues par les personnes, avec, si nécessaire suivi psychologique à distance et gratuit. Mais les retards de diagnostics se sont accumulés et n’ont jamais été rattrapés, certains reports de soins et d’interventions importantes n’ont pu être évités.

Aujourd’hui, devant cette troisième vague épidémique, les ARS demandent des déprogrammations des interventions à hauteur de 60 % en moyenne. Les actes chirurgicaux nécessitant un passage en soins intensifs post-chirurgicaux, voire même seulement en salle de réveil, sont annulés sans proposition de date. Les cancers considérés comme pouvant attendre ne sont pas épargnés. Ces choix sont-ils éthiques ? Le système de santé aujourd’hui ne devient-il pas malfaisant pour ces personnes qui subiront un retard de soins. Qui peut aujourd’hui en mesurer les conséquences ?

L’annonce de l’augmentation jusqu’à 10 000 lits de réanimation nécessitant le redéploiement des professionnels de santé, inquiète les associations sur un risque accru de déprogrammations dans certains territoires. Cette situation n’est pas le seul facteur à prendre en compte. Devant l’anxiété provoquée par cette pandémie, certaines personnes arrêtent leurs soins de peur d’être contaminées par la Covid-19 au sein des établissements ; en effet, elles sont parmi les personnes à risque élevé de développer une forme grave de la Covid-19. La vaccination des professionnels de santé serait un levier pour redonner de la confiance à ces personnes fragiles.

[1] Libération, « Deux fois moins d’infarctus, ce n’est pas normal », 6 avril 2020 ; Libération, Coronavirus : quelles répercussions pour les patients atteints de cancer ? 14 avril 2020
[2] Par ex. : Le Figaro, Cancer, dialyse, diabète asthme : l’épidémie perturbe les prises en charge, 8 avril 2020 ; France Info, Coronavirus : et pendant ce temps le cancer continue de tuer... à Lyon comme ailleurs, 16 avril 2020

Catherine Simonin, vice-présidente de la Ligue Nationale contre le cancer, administratrice de France Assos Santé

Source : Le Quotidien du médecin