Interaction médicamenteuse

Éviter d’associer l’immunothérapie au paracétamol

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Publié le 06/07/2022

Selon une étude française présentée en avant-première au congrès de l'ASCO et publiée dans Annals of Oncology (1,2), le paracétamol réduit l'efficacité des inhibiteurs de check points, anti-PD1 et anti-PDL1. Ainsi, les patients traités par immunothérapie pour un cancer à un stade avancé, prenant simultanément du paracétamol, ont un moins bon pronostic.

Crédit photo : phanie

L’étude présentée a porté, d'un côté, sur l'analyse multivariée de données de trois études randomisées (ChecKMate 025, BIP et PREMIS) cumulant plus de 600 patients, et d'autre part, sur des essais précliniques évaluant l’action du paracétamol sur l'immunité antitumorale activée par les inhibiteurs de check points.

Concernant l'analyse clinique, les auteurs sont partis des plasmas de patients, en l'occurrence des prélèvements à T0 juste avant la mise en route de l'immunothérapie. Les sujets ont été répartis en deux sous-groupes, ceux présentant du paracétamol (acétaminophène) et/ ou son métabolite (acétaminophène glucuronide) au niveau plasmatique, et ceux n'en présentant pas. Leur survie sans progression (SSP) et leur survie globale (SG) ont ensuite été comparées dans chacun des trois essais utilisés pour ce travail. 

Une survie plus courte

L'analyse montre dans chaque essai que la prise de paracétamol est associée à un moins bon pronostic. Dans l'étude CheckMate 025 (297 patients), sur les cancers du rein avancés en échec, la SG des sujets sous paracétamol est significativement réduite de plus de 25 % (RR = 0,67 ; p = 0,004). Dans l'essai BIP réunissant 34 patients présentant des altérations moléculaires particulières, aucun des sujets prenant du paracétamol en début d'essai n'a répondu, alors que parmi ceux n’en prenant pas, près d'un tiers a eu une réponse objective. De plus, les sujets positifs au paracétamol tendent à avoir des SSP (1,9 mois vs 4,7 mois) et SG (7,9 mois vs 16,6 mois) plus faibles. Enfin, dans l'essai OREMIS rassemblant divers cancers avancés, à nouveau les sujets positifs au paracétamol ont des SSP (2,6 mois vs 5 mois, p = 0,009) et SG (8,4 mois vs 15 mois, p < 0,0001) significativement plus courtes.

Enfin, l'analyse multivariée des données de PREMIS (297 patients) retrouve un impact significatif de l'exposition au paracétamol sur les SSP et SG, indépendamment de l'état de santé initial (score ECOG), du type de tumeur rénale, de la présence ou non de métastases hépatiques, du nombre de sites métastatiques et de traitements antérieurs, du recours ou non aux corticoïdes et aux antibiotiques, ou du taux plasmatique en lactate déshydrogénase… 

Une réduction de l'activité antitumorale

Plusieurs petites études antérieures avaient déjà évoqué la possibilité que le paracétamol puisse limiter l'expansion des cellules immunitaires, réduire la réponse vaccinale en termes d'anticorps dépendants des lymphocytes T (LT) et même diminuer la clairance virale de virus pathogènes. Suite à un essai randomisé assez démonstratif, l'OMS elle-même recommande, dès 2015, d'interrompre le paracétamol lors de vaccination.

Aujourd'hui, les travaux français rapportés montrent qu'in vivo, sur modèle murin, le paracétamol réduit l'activité antitumorale de l'immunothérapie. Chez l'homme volontaire sain, son administration induit une augmentation des LT régulateurs (Tregs). Alors qu'en clinique, chez les patients sous immunothérapie, le paracétamol est associé à une augmentation des taux d'interleukine 10, un médiateur primordial de l'immunosuppression médiée par les Tregs. Dans des lignées de mononucléaires humaines, il réduit l'inhibition de sécrétion d'interféron gamma générée par PD1.

« Ses données suggèrent qu'il serait judicieux à l'avenir de déconseiller le recours au paracétamol aux patients sous traitement d'immunothérapie, ou tout au moins de veiller à leur recommander un usage parcimonieux de cette molécule en vente libre », conclut le Pr Antoine Italiano (CHU de Bordeaux), qui présentait ces travaux à Chicago. « Avec ce travail, le paracétamol rejoint la liste des médicaments déjà suspects de réduire l'activité des inhibiteurs de check points, à savoir les corticoïdes, antibiotiques et inhibiteurs de la pompe à protons. Il reste toutefois encore du chemin à faire avant de pouvoir évaluer plus précisément quelle est la part de ces interactions dans la non-réponse de nombreux patients aux immunothérapies », résume un commentateur.

(1) A Bessede et al. Impact of acetaminophen on the efficacy of immunotherapy in cancer patients. Annals of Oncology 2022 ; https://doi.org/10.1016/j.annonc.2022.05.010
(2) P Berraondo, Jsullivan. The deleterious effect of acetaminophen in cancer immunotherapy. Annals of Oncology 2022; https://doi.org/10.1016/j.annonc.2022.06.012

Pascale Solere

Source : lequotidiendumedecin.fr