Un expert du big data à l’IGR

La génomique au service des tumeurs rares

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Publié le 18/09/2018
Sergey Nikolaev

Sergey Nikolaev
Crédit photo : DR

Quels sont les apports de la génomique en cancérologie ?

Depuis quelques années, avec l’arrivée du séquençage à haut débit (NGS), on a beaucoup appris sur la génomique des tumeurs fréquentes. La plupart d’entre elles, comme les cancers du côlon et du poumon, ont été largement séquencées, étudiées. Les diverses mutations et signatures génomiques associées à ces tumeurs fréquentes sont désormais bien connues. Or les mutations somatiques sont riches en renseignements sur l’étiologie de la tumeur, notamment sur les facteurs d’exposition associés. Dans le cancer pulmonaire, la génomique permet ainsi de parfaitement différencier les tumeurs liées à l’exposition tabagique de celles qui ne le sont pas. Dans le cancer colorectal, elle a permis d’identifier un sous-groupe caractérisé par une altération du MMR (mismatch repair), le principal système de réparation des erreurs de réplication de l’ADN. Ces tumeurs MMR porteuses de très nombreuses mutations sont plus sensibles à la chimiothérapie, et le flot d’antigènes mutés en fait de bons candidats à l’immunothérapie. Bref, la génomique peut éclairer la mutagénèse, les facteurs d’exposition impliqués, et les choix thérapeutiques. Elle permettra peut-être même à l’avenir de trouver des moyens d’influencer sélectivement la mutagénèse dans les cellules cancéreuses.

Pourquoi avoir rejoint l’institut Gustave-Roussy, et sur quel sujet travaillerez-vous ?

L’IGR possède une exceptionnelle banque de données, en particulier de tumeurs rares. Ce matériel précieux, associé à ses moyens humains et techniques, en fait un lieu de choix pour étudier la génomique des cancers cutanés et des tumeurs rares. Or je travaille depuis quelques années déjà sur des cancers cutanés, les carcinomes basocellulaires métastatiques. On a déjà mis en évidence des signatures génomiques d’exposition aux radiations UV dans ces tumeurs. Mais nombre de ces mutations n’ont pas d’impact décisif. Les collections tumorales de l’IGR, qui contiennent des cancers cutanés rares et agressifs, vont m’aider à aller plus loin.

Bien que la majorité des cancers cutanés hors mélanomes ne soient pas agressifs, une minorité d’entre eux peuvent être très invasifs et métastatiques. Les carcinomes basocellulaires métastatiques en font partie. Pour mémoire, on est très limité en options thérapeutiques efficaces dans ce cancer rare. Et les drivers contribuant à la progression des carcinomes basocellulaires vers une maladie métastatique restent méconnus.

L’étude du xeroderma pigmentosum, maladie héréditaire associée à un surrisque de tumeurs cutanées – carcinomes basocellulaires et spinocellulaires, mélanomes – a déjà apporté des éléments de réponse. Cette maladie héréditaire est en effet associée à des mutations d’un système de réparation de l’ADN, la réparation par excision de nucléotides (NER, nuclear excision repair), qui a une place importante dans la réparation des dommages engendrés notamment par les UV ou le cisplatine. Or le xeroderma pigmentosum est aussi associé à un surrisque de leucémies. Mais jusqu’ici nul ne savait pourquoi. Notre étude génomique actuelle a mis en évidence dans ces leucémies une signature génomique correspondant, elle aussi, à un défaut du système NER. Ce dernier ne se limite donc pas à la seule réparation des mutations induites par les mutagènes exogènes, UV ou autres.

Par ailleurs, d’autres maladies héréditaires sont intéressantes à étudier pour identifier des drivers et des mécanismes de mutagénèse. En particulier le syndrome de Lynch à spectre large, associé à un surrisque de cancers colorectaux, mais aussi de l’estomac et de l’endomètre. Trois organes où la multiplication cellulaire est intense quand ce syndrome est caractérisé par un déficit du système MMR de réparation des erreurs de réplication. C’est pourquoi les tumeurs rares constituent une réelle mine d’informations.

 

D’après un entretien avec Sergey Nikolaev, institut Gustave-Roussy (Villejuif)

Pascale Solere

Source : lequotidiendumedecin.fr