Médecine de précision

Le séquençage à haut débit fait ses preuves dans le cancer

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Publié le 04/02/2022
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L'étude Safir-02 Breast confirme l'intérêt du séquençage multigénique de la tumeur dans le cancer du sein métastatique, dès lors qu'il est interprété à l'aide d'un outil d'aide à la décision thérapeutique.
Le séquençage multigénique est utilisé à travers les pays mais sans réel cadre

Le séquençage multigénique est utilisé à travers les pays mais sans réel cadre
Crédit photo : Phanie

L’analyse génomique à haut débit a-t-elle un intérêt dans la prise en charge des patientes atteintes de cancer du sein métastatique ? L’étude Safir-02, présentée en décembre lors du San Antonio Breast Cancer symposium, répond à cette interrogation par l’affirmative en montrant que le séquençage est bénéfique à partir du moment où il est interprété à l’aide d’outils de classification des altérations génomiques.

Le concept de cette approche a été apporté en 2011 par le Pr Fabrice André, oncologue médical spécialiste du cancer du sein et directeur de la recherche de Gustave Roussy (Villejuif), et ses collègues de l’institut (1). Elle est décrite dans le « Journal of Clinical Oncology ».

« Les cancers sont provoqués par des accumulations de mutations au niveau des oncogènes ou des gènes suppresseurs de tumeurs. En ciblant les formes mutées des protéines avec des médicaments, la survie des patients est prolongée. De là, est venue l’idée de faire du séquençage à haut débit pour identifier l’anomalie "princeps" pour chaque patiente et y associer un médicament », raconte le Pr André au « Quotidien ». Le séquençage multigénique est depuis utilisé à travers les pays mais sans réel cadre. D’où l’intérêt de mener une étude randomisée pour évaluer son bénéfice et mieux l’interpréter.

Une échelle pour classer les altérations

Dans l’étude randomisée menée en collaboration entre la Fondation ARC, Gustave Roussy et Unicancer dans 30 centres français, le profil génétique de la tumeur de 1 462 patientes a été établi. Parmi elles, 238 présentaient une anomalie génétique tumorale pour laquelle une thérapie ciblée a été identifiée. Elles sont 157 à avoir reçu une telle thérapie - neuf médicaments ciblés étaient disponibles dans le cadre de l’étude - et les 81 autres ont bénéficié d’une chimiothérapie d’entretien.

Les patientes ont été classées à l’aide de l’échelle Escat (pour Esmo Scale for Clinical Actionability of molecular Targets). Cet outil d’aide à la décision permet de mettre en regard de chaque altération le niveau de preuve associé au médicament qui la cible. Les niveaux les plus forts (I et II) rassemblent les altérations qui sont appariées à un traitement dont le bénéfice a été démontré au moins dans une phase 1, tandis que le niveau le plus faible (X) réunit les altérations pour lesquelles il n’y a pas de preuve à ce jour d’efficacité du traitement.

Parmi les 115 patientes Escat I-II, la médiane de survie sans progression de la maladie était de 9,1 mois chez celles traitées par thérapie ciblée contre 2,8 mois chez celles traitées par chimiothérapie d’entretien. Concernant les 123 patientes Escat ≥ III, la différence de survie sans progression n’était en revanche pas significative entre celles traitées par thérapie ciblée (5,5 mois) et celles traitées par chimiothérapie (2,9 mois).

« Notre étude prouve de façon indiscutable que si une anomalie génomique n’est pas appariée à un médicament associé à au moins une réponse en phase 1 dans l’indication étudiée, alors il ne faut pas en tenir compte. Le séquençage multigénique n’est efficace que s’il est interprété avec des outils de classification des altérations génomiques », résume le Pr André.

Car ce n’est pas parce qu’une altération génomique est identifiée qu’il y a nécessairement un médicament correspondant et dont l’efficacité est démontrée. « C’est justement le piège du séquençage à haut débit : on pense qu’il va répondre à toutes les questions, alors qu’il n’est utile que pour un petit nombre de patientes pour lesquelles l’altération est classée en I ou II, soulève l’oncologue. Pour les autres, l’état des connaissances actuelles ne permet pas d’utiliser les résultats du séquençage. »

Fruit de 10 ans de travaux

En pratique, les données génomiques sont cependant interprétées de manière subjective, déplore-t-il. « Actuellement, certaines équipes réalisent beaucoup de séquençages, mais elles rapportent toutes les anomalies et les interprètent arbitrairement, constate le Pr André. Ailleurs, à l’extrême, les patientes n’ont pas du tout accès au séquençage. » Les résultats de Safir-02 (généralisables à d’autres types de cancers) devraient ainsi contribuer à encadrer et harmoniser les pratiques.

Le congrès de San Antonio a aussi été l’occasion pour le Pr André de se voir décerner le Prix 2021 Outstanding Investigator Award for Breast Cancer Research. « Ce prix est surtout une reconnaissance par les pairs que le travail que nous faisons depuis 10 ans à Gustave Roussy sur la médecine de précision a été impactant », commente l’oncologue.

Après le concept décrit en 2011, suggérant le recours à l’analyse à haut débit plutôt qu’à de multiples tests pour analyser la tumeur, « une première étude clinique a été réalisée en France », relate le Pr André. C’est l’étude l'étude Safir-01 (2) parue en 2014 dans le « Lancet Oncology », qui conclut que la personnalisation de la médecine du cancer du sein métastatique est faisable à l’échelle du territoire, y compris pour les altérations génomiques rares. Un peu plus tard, en 2017, l'étude Moscato-01 (3), publiée dans « Cancer Discovery », a montré que 7 % de l’ensemble des patientes bénéficiaient de l’analyse multigénique.

« D’autres études menées en parallèle à l’international ont montré que 5 à 25 % des patientes ayant eu un test à haut débit génomique recevaient un nouveau médicament, et qu’environ 30 % d’entre elles en tiraient un bénéfice, rapporte le Pr André. Ce sont en fait celles qui sont classées I ou II selon l’Escat. »

Au total, une quarantaine d’altérations impliquées dans la progression du cancer ont été identifiées, et il existe des traitements en développement ou validés pour 20 à 30 d’entre elles.

(1) F. André et al., J Clin Oncol, 2011. doi: 10.1200/JCO.2010.31.6877
(2) F. André et al., Lancet Oncol, 2014. doi: 10.1016/S1470-2045(13)70611-9
(3) C. Massard et al., Cancer Discov, 2017. doi: 10.1158/2159-8290.CD-16-1396

Charlène Catalifaud

Source : Le Quotidien du médecin