Pr Jean-Philippe Metges (CHU de Brest) – Congrès de l’ESMO

« L’immunothérapie change la donne dans les cancers de l’œsophage »

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Publié le 25/09/2020

Présentée au congrès de l’ESMO en session présidentielle, l’immunothérapie anti-PD1 montre ses bénéfices en première ligne métastatique des tumeurs de l’œsophage, qui souffraient jusqu’à présent d’un déficit d’options thérapeutiques.

Crédit photo : DR

Avec encore essentiellement un recours à la chimiothérapie, tel que le protocole FOLFOX (5 FU, oxaliplatine) dans les formes épidermoïdes, « on a un déficit de traitement dans le cancer de l’œsophage », déplore le Pr Philippe Metges alors qu’il s’agit du troisième cancer digestif le plus fréquent en France.

Des résultats préalables en second ligne et plus

En 2017-2018, l’essai de phase II Keynote-059, avec l’anti-PD1 pembrolizumab, est l’un des premiers à évaluer une immunothérapie dans les adénocarcinomes gastriques ou de la jonction œsogastriques, récidivants ou métastatiques prétraités (259 patients). En parallèle, en troisième ligne et plus, l’étude de phase III ATTRACTION-2 (2) montre l’intérêt du nivolumab (anti-PD1), par rapport aux soins palliatifs, dans les cancers avancés de l’estomac ou de la jonction œsogastrique. Cet essai n’ayant inclus que des patients asiatiques (493), il n’a pu aboutir à l’obtention d’une AMM européenne chez ces patients. De même, en deuxième ligne métastatique, l’essai ATTRACTION-3 a comparé le nivolumab à la chimiothérapie, mais avec presque uniquement des patients asiatiques dans les tumeurs épidermoïdes de l’oesophage (3).

L’année dernière, l’essai Keynote 181 (4) a également comparé le pembrolizumab à la chimiothérapie, chez des patients de différentes origines, atteints de formes épidermoïdes ou adénocarcinomateuses. « Il montre le bénéfice, dans les cancers épidermoïdes, à recevoir du pembrolizumab en 2e ligne », constate le Pr Metges. Avec une survie globale (SG) atteignant 9,3 mois sous pembrolizumab (versus 6,7 mois, HR = 0,69, p = 0,074), une AMM a été octroyée aux États-Unis et en Chine dans le sous-groupe des cancers épidermoïdes PD-L1 CPS≥10, mais pas en Europe.

Vers un nouveau standard en première ligne ?

« Pour la première fois dans un congrès international, une session présidentielle était dédiée aux tumeurs de l’œsophage, souligne le Pr Metges. Le 21 septembre 2020 lors du congrès de l’ESMO (European Society for Medical Oncology), elle a marqué l’entrée de l’immunothérapie dans l’histoire de ces cancers ».

Parmi les essais présentés, l’étude Keynote 590 (5) a évalué en 1re ligne métastatique le pembrolizumab associé à une chimiothérapie (cisplatine + 5FU), versus placebo-chimiothérapie, dans les cancers épidermoïdes et adénocarcinomateux de l’œsophage. Elle a inclus 749 patients : 73 % avec une tumeur de l’œsophage épidermoïde et autant d’origine asiatique que caucasienne. « Cette étude positive, quels que soient les critères (principaux et secondaire : SG, survie sans progression [SSP] et réponse globale), change totalement la donne pour les patients », s’enthousiasme le Pr Metges. En effet, La SG sur l’ensemble de la population était de 12,4 mois sous pembrolizumab (versus 9,8 mois, HR = 0,73, p < 0,0001), atteignant même 13,5 mois dans les tumeurs PD-L1 CPS≥10 (versus 9,4 mois, HR = 0,62, p < 0,0001) et 13,9 mois dans les épidermoïdes PD-L1 CPS≥10 (versus 8,8 mois, HR = 0,57, p < 0,0001), soit une réduction de 43 % du risque de décès dans ce dernier sous-groupe. « Les résultats sont encore plus forts sur les tumeurs épidermoïdes », remarque l’oncologue. Quant à la survie sans progression (SSP), elle s’élevait à 6,3 mois avec l’anti-PD1 (versus 5,8 mois, HR = 0,65, p < 0,0001) dans l’ensemble de la population et à 7,5 mois (versus 5,5 mois, HR = 0,51, p < 0,0001) dans les cancers PD-L1 CPS≥10, réduisant de 49 % le risque de récidive dans ce sous-groupe. Le taux de réponse était également augmenté (45 % vs 29,3 %, p < 0,0001). « Avec tous ces éléments à la disposition de nos tutelles pour décider, nous espérons un accès rapide au traitement », poursuit le Pr Metges.

Lors de cette même session, d’autres études ont rapporté à l’ESMO des résultats en première ligne avec le nivolumab. Si l’étude ATTRACTION-4 n’a inclus que des patients asiatiques, l’essai CheckMate 649 (6) incluait aussi des patients caucasiens (n = 1 581). Comparant l’association nivolumab-chimiothérapie (XELOX ou FOLFOX) à la chimiothérapie seule, ce dernier a mis en évidence une SG de 13,8 mois sur l’ensemble de la population avec le nivolumab (versus 11,6 mois, HR = 0,80, p = 0,0002) et de 14,4 mois dans le sous-groupe de tumeurs PD-L1 CPS≥5 (versus 11,1 mois, HR = 0,71, p < 0,0001). La SSP était également améliorée dans les cancers PD-L1 CPS≥5 (7,7 versus 6 mois, HR = 0,68, p < 0,0001) mais pas sur l’ensemble de la population.

Et au stade précoce de la maladie ?

Enfin, l’essai CheckMate 577 (7) a évalué le nivolumab, versus placebo, en adjuvant dans les cancers de l’œsophage ou de la jonction œsogastrique opérés et traités en néoadjuvant par chimioradiothérapie (N = 794). La survie sans récidive était doublée sous immunothérapie, atteignant 22,4 mois (vs 11 mois, HR = 0,69, p = 0,0003). Par contre, la SG n’était pas encore mature. « Il faudra que l’étude mûrisse. La survie sans récidive n’est pas obligatoirement associée à la survie globale, remarque le Pr Metges. Le stade précoce reposant sur la qualité de la chirurgie, la comparabilité de l’ensemble des cas et de la chirurgie est à prendre en considération ». Or, ces critères ne sont pas disponibles.

D’après un entretien avec le Pr Jean-Philippe Metges (CHU de Brest)
(1) Fuchs C.S. et al, JAMA Oncol . 2018 May 10;4(5):e180013. doi:10.1001/jamaoncol.2018.0013
(2) Kang YK et al. Lancet. 2017 Dec 2;390(10111):2461-2471
(3) Kato K. et al. The Lancet Oncology 2019 Vol 20, issue 11 : p 1506-1517 https://doi.org/10.1016/S1470-2045(19)30626-6
(4) Kojima T et al: 2019 Gastrointestinal Cancers Symposium. Abstract 2. Presented January 17, 2019.
(5) Kato K. et al, ESMO 2020, abtr LBA8_PR
(6) Moehler M et al. ESMO 2020, abtr LBA6_PR
(7) Kelly RJ. ESMO 2020, abtr LBA9_PR

Karelle Goutorbe

Source : lequotidiendumedecin.fr