Pr Xavier Hébuterne : « Privilégier une alimentation plus riche en végétaux »

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Publié le 18/03/2021

L’alimentation s’inscrit définitivement dans une démarche préventive du cancer, et en particulier des tumeurs digestives. Tour d'horizon de ses effets avec le Pr Xavier Hébuterne, chef du service d'hépato-gastroentérologie au CHU de Nice.

Pr Xavier Hébuterne (CHU de Nice)

LE QUOTIDIEN. L’Institut national du cancer (INCa), le réseau NACRe de l’INRAE et le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) ont publié des données sur les relations entre alimentation et cancer, incluses dans les repères du Plan national nutrition santé (PNNS) 2017-2021. Quels facteurs clés en ressortent ?

PR HEBUTERNE. Il serait possible de réduire de 50 à 70 % l’incidence du cancer colorectal, en observant un mode de vie et une alimentation plus adaptés (1). Dès un verre par jour, les boissons alcoolisées augmenteraient les cancers colorectaux, du foie, des voies aéro-digestives supérieures (VADS) et du sein (2). Ainsi, 8 % des cancers (ORL, de l’œsophage, du foie, de l’estomac et colorectaux) sont attribuables à une consommation trop élevée d’alcool. Par ailleurs, l’obésité est le troisième facteur de risque de cancer après le tabagisme et l’excès d’alcool. Pour cinq points d’IMC supplémentaires, le risque d’adénocarcinome de l’œsophage augmenterait de 55 % (3), celui des cancers du pancréas et du côlon de 14 et 15 %.

Quels aliments influencent le risque de cancer ?

Les fruits et légumes non féculents réduisent le risque tumoral, avec des niveaux de preuve qualifiés de probables vis-à-vis des cancers des VADS et de l’estomac. Si au moins cinq portions (80-100 g) de fruits et légumes sont recommandées par jour, 57 % des Français adultes en consomment moins de cinq et 35 % moins de 3,5. Au total, 6 840 cas de cancers (colorectaux, VADS) seraient évités en France si cette consommation entrait dans les normes. 

Pour les aliments riches en fibres, leur capacité à diminuer le risque de cancer du côlon et du rectum est probable selon l’INCa et convaincante selon le World Cancer Research Fund (WCFR) et l’American institute for Cancer Research (ACR). Ainsi, 5 000 cas annuels de cancers colorectaux sont attribuables à une consommation insuffisante (1). Alors que le minimum recommandé en fibres est de 25 g/jour, seuls 19 % des hommes et 8 % des femmes y parviennent. D’où l’incitation du HCSP en 2017 de consommer des produits céréaliers complets et peu raffinés chaque jour et des légumineuses au moins deux fois par semaine.

Quant à la diminution du risque de cancer colorectal grâce aux produits laitiers, elle est jugée probable. Les trois produits laitiers par jour n’étant atteints que par 29 % des Français, leur consommation est abaissée à deux, en les alternant (hors desserts lactés, etc.).

Le rôle délétère de la viande rouge et des charcuteries s’est avéré « convaincant » pour le cancer colorectal et « probable » pour celui de l’estomac. En 2015, on estime que 5 584 cancers colorectaux leur seraient attribuables. En effet, 32 % des Français consomment trop de viande rouge et 63 % trop de charcuterie, même si une tendance à la diminution de ces produits carnés pointe chez les plus jeunes (-19 % chez les 6-10 ans entre 2007 et 2016) [4]. Selon les directives de 2017, la quantité de viande rouge ne devrait pas excéder 500 g par semaine, en alternant les sources de protéines avec la volaille et le poisson, et 150 g/semaine de charcuterie. Principalement dans les aliments transformés, le sel est incriminé dans le cancer de l’estomac et 79 % des Français en consomment trop (≥ 6 g NaCl/jour).

Globalement, un régime alimentaire plus riche en végétaux et moins riche en produits carnés contribuerait à la prévention des cancers, d’après une étude issue de la cohorte NutriNet Santé. Un score « pro-végétal » plus élevé était en effet associé à une diminution du risque global de tumeurs (-15 %), de cancers digestifs (-35 %) et du poumon (-55 %). En prévention secondaire du cancer colorectal, l’activité physique et une alimentation équilibrée limitent le risque de récidive tumorale (5).

Alimentation bio ou ultratransformée, quelles conséquences ?

Deux études épidémiologiques, soulèvent le rôle bénéfique d’une consommation régulière de produits « bio » sur le risque global de développer une tumeur, ainsi que sur celui de cancer du sein et de lymphomes (6,7). Cela passerait par une moindre exposition aux résidus de pesticides. Concernant l’alimentation ultratransformée, de faibles doses d’épaississants (carboxyméthylcellulose, polysorbate) données à des souris provoquent des colites inflammatoires, amenuisent la couche de mucus et réduisent la quantité de microbiote intestinal (8). En 2018, selon la cohorte NutriNet santé, une hausse de 10 % de la proportion d’aliments ultratransformés augmentait de 10 à 11 % le risque de cancer (9). Il a aussi été montré que les plus grands consommateurs d’aliments ultratransformés avaient plus de symptômes digestifs évoquant un syndrome de l’intestin irritable (10).

Quel est l’impact des compléments alimentaires ?

La supplémentation en bêtacarotène augmente le risque de tumeurs, de façon convaincante pour le cancer du poumon et probable pour celui de l’estomac. Aujourd’hui, la réponse académique est négative à propos d’une supplémentation systématique en vue de réduire l’apparition de cancers. Pour autant, certaines études sont positives. Un essai mené en Chine (11), au sein d’une population carencée en micronutriments, constatait que des doses physiologiques en bêtacarotène, en vitamine D et sélénium, permettaient de réduire la mortalité par cancer gastrique. Concernant la supplémentation en oméga 3, les arguments expérimentaux suggèrent un effet antiprolifératif, mais une étude américaine récente n’a pas montré de données convaincantes (12).

(1) https://www6.inrae.fr/nacre/
(2) https://www.cancer-environnement.fr/294-Alcool-et-cancer.ce.aspx
(3) Rapport Fond Mondial de recherche contre le cancer, Alimentation, nutrition, activité physique et prévention du cancer : une perspective mondiale, 2007
(4) CREDOC N° 304 • ISSN 0295-9976 • avril 2019
(5) Blarigan V. et al. MA Oncol. 2018;1;4(6):783-90
(6) Bradbury K. et al. J Cancer. 2014 Apr 29;110(9):2321-6
(7) Baudry J. et al. Jama Intern Med 2018 rn Med. 2018 Dec 1;178(12):1597-1606
(8) Chassaing B. et al. Nature 2015 Mar 5;519(7541):92-6
(9) Fiolet T. et al. BMJ 2018;360:k322
(10) Schnabel L. et al. J Gastroenterol 2018 Aug;113(8):1217-28
(11) Li JY. et al. J Nat Cancer Inst. 1993 Sep 15;85(18):1492-8
(12) Song M. et al. JAMA Oncol. 2020;6(1):108-15

Hélène Joubert

Source : Le Quotidien du médecin