Pr Pierre Amarenco, hôpital Bichat (Paris)

Après un AVC, baisser la pression artérielle sous 120 mm Hg double les handicaps

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Publié le 16/11/2022

Selon l’étude ENCHANTED2/MT, passer sous 120 mm Hg de pression artérielle (PA), après reperfusion d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique, accentue la détérioration neurologique et double les handicaps à trois mois. Décryptage de ces résultats présentés en avant-première au World Congress Stroke (WCS, Singapour) et publiés dans le Lancet (1).

Pr Pierre Amarenco

Pr Pierre Amarenco
Crédit photo : DR

L’étude ouverte ENCHANTED2/MT a été menée en Chine dans 44 hôpitaux. Réalisée en double aveugle, elle porte sur des adultes ayant fait un AVC ischémique des gros vaisseaux, et ayant eu une thrombectomie réussie. Elle compare un contrôle tensionnel intensif (PA ≤ 120 mm Hg), commencé une heure après la reperfusion et poursuivi durant 72 heures, à un contrôle plus lâche (visant les 140-180 mm Hg).

Le critère primaire retenu est la récupération fonctionnelle (Rankin score : 0-6 ) à trois mois. Au total, 821 patients ont été randomisés entre juillet 2020 et mars 2022 (404 analysés dans le bras intensif versus 406 dans le groupe contrôle lâche). L'analyse intermédiaire (juin 2022) a mené à l'interruption précoce de l'essai, en raison de la détérioration neurologique observée dans le bras contrôle intensif.

Une détérioration neurologique augmentée de 50 %

L'analyse, en intention de traiter, a été ajustée au traitement alloué, au site de recrutement et aux facteurs pronostiques à l'inclusion. Elle met en évidence une augmentation de 50 % de la détérioration neurologique à trois mois dans le bras intensif (RR = 1,53 ; 1,18-1,97), ainsi qu'un doublement des handicaps majeurs (RR = 2,07;1,47-2,93). Aucune différence significative n’a été observée entre les bras, ni en termes d'hémorragies intracrâniennes symptomatiques, ni d'effets secondaires sévères ou de décès.

« Ce résultat a d'importantes implications cliniques. Il montre qu'après thrombectomie descendre à 120 mm Hg durant trois jours, c'est trop bas sur une trop longue durée. Il ne faut surtout pas descendre à 120 mm Hg. Si aujourd'hui on ne connaît toujours pas la PA optimale à viser, probablement plus proche des 140 mm Hg, il est désormais clair qu'il faut absolument éviter d'exposer ces patients à une tension artérielle trop basse », commentait le Pr Craig Anderson, qui présentait les résultats lors du congrès WSC.

D’ailleurs, l’étude ENCHANTED avait déjà testé le bénéfice éventuel d'un contrôle tensionnel en post-AVC (sans thrombectomie) plus modéré, la cible étant alors de 140 mm Hg. Ses résultats n'avaient pas non plus mis en évidence de bénéfice fonctionnel (2).

Respecter l'autorégulation cérébrale

« La circulation cérébrale est soumise à une autorégulation. On sait désormais qu'elle fait son travail en permanence, y compris en cas d’ischémie cérébrale. Il ne faut donc pas intervenir sur la pression artérielle (PA) après un AVC et encore moins l’abaisser en dessous de 120 mm Hg de systolique, résume le Pr Amarenco, chef du service de neurologie et de l’unité AVC, hôpital Bichat (Paris). Auparavant, on pensait qu’il existait une perte d’autorégulation dans la zone ischémique. C'est ce qui a motivé les essais pour baisser la PA en post-AVC, et maintenant en post-thrombectomie. Or, toutes ces études ont montré qu’il ne fallait pas intervenir sur la PA après un AVC. Aujourd'hui, cet essai ENCHANTED2/MT montre qu’il ne faut surtout pas abaisser la PA systolique sous les 120 mm Hg. Pour rappel, l’étude française BP target, certes plus petite, avait déjà mis en évidence la nécessité de ne pas descendre en dessous des 130 mm Hg (3) ».

« Certes, il n’a pas été exploré des niveaux de PA entre 130 et 160 mm Hg chez les patients qui auraient, après thrombectomie, des pressions au-dessus de 160 mm Hg. Mais il suffit de faire confiance à l'efficacité de l’autorégulation de la circulation cérébrale qui agit comme une véritable « barrière de corail » pour protéger le cerveau, ajoute le neurologue. En revanche, bien d’autres mécanismes (que l’hypertension artérielle) potentiellement délétères, doivent être explorés, au premier rang desquels l’inflammation aiguë… ».

« En résumé, la seule circonstance nécessitant sans doute de baisser la PA est après une hémorragie cérébrale. En effet, baisser la PA durant les premières heures vient réduire l'expansion de l'hémorragie », conclut le Pr Amarenco.

 

D'après un entretien avec le Pr Pierre Amarenco (neurologie, unité AVC, CHU Bichat, Paris)
(1) Yang P et al. Intensive blood pressure control after endovascular thrombectomy for acute ischaemic stroke (ENCHANTED2/MT): a multicentre, open-label, blinded-endpoint, randomised controlled trial. Lancet 2022; doi:https://doi.org/10.1016/S0140-6736(22)01882-7
(2) Anderson C S et al. Intensive blood pressure reduction with intravenous thrombolysis therapy for acute ischaemic stroke (ENCHANTED): an international, randomised, open-label, blinded-endpoint, phase 3 trial. Lancet 2019 ; doi: https://doi.org/10.1016/S0140-6736(19)30038-8
(3) Mazighi M et al. Safety and efficacy of intensive blood pressure lowering after successful endovascular therapy in acute ischaemic stroke (BP-TARGET): a multicentre, open-label, randomised controlled trial. Lancet Neurol 2021;20:265-74.

Pascale Solere

Source : lequotidiendumedecin.fr