Prévention cardiovasculaire

Bénéfice des oméga-3, mythe ou réalité ?

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Publié le 08/12/2020

Lors du congrès de l'American Heart Association (AHA), deux études négatives, STRENGTH et OMENI, sont venues remettre en cause le bénéfice des acides oméga-3 en prévention cardiovasculaire (CV). Leurs résultats contrastent avec les données très positives précédemment rapportées. Les oméga-3 sont-ils réellement bénéfiques pour le cœur ?

Aucun pari ne peut être fait sur les bénéfices cardiovasculaires

Aucun pari ne peut être fait sur les bénéfices cardiovasculaires
Crédit photo : phanie

Les résultats de l'étude REDUCE-IT et de l'essai japonais JELIS, menés avec l'EPA (acide eicosapentaénoïque) contre un mélange EPA/DHA (acide docosahexaénoïque), étaient positifs quant à l'intérêt des omégas-3 en prévention cardiovasculaire (CV) [1,2]. Cependant, les études STRENGH et OMENI menées chez des sujets à haut risque, pour moitié en prévention secondaire, relancent le débat (3,4).

Aucun bénéfice versus placebo

STRENGTH est une vaste étude internationale randomisée testant l'apport de haute dose (4 g/j) d'un mélange d'oméga 3 (EPA/DHA) versus l'huile de maïs (placebo). Elle a été menée chez plus de 13 000 sujets sous statine, présentant un haut niveau de risque CV associé à un taux élevé de triglycérides (médiane : 2,4 g/l) et un HDL cholestérol bas (médiane : 0,36 g/l). 

D'âge moyen 62 ans et avec un indice de masse corporel (IMC) élevé (32 kg/m2), les patients sont pour deux tiers des hommes (65 %), pour 70 % diabétiques et pour moitié en prévention secondaire (antécédents de maladie coronaire : 46 %, d'AVC : 8 %). Tous ces sujets sont sous statine (la moitié à forte dose), 80 % sous inhibiteur du système rénine angiotensine, 66 % sous bêta bloquant, 70 % sous antiplaquettaire et 4 % sous ezetimibe.

Le critère primaire composite rassemble décès CV, infarctus du myocarde (IDM), AVC, revascularisations coronaires et angors instables nécessitant une hospitalisation. Après 42 mois, l'étude ayant été interrompue prématurément pour futilité, il n'y a pas de différence significative concernant le taux d'évènements CV : 12 % sous oméga-3 versus 12,2 % dans le bras contrôle (RR = 0,99, NS), avec cependant plus d'évènements gastro-intestinaux sous oméga-3 (25 vs 15 %).

Quant à OMENI, il s'agit d'une étude multicentrique norvégienne menée chez des sujets âgés (70-82 ans) en post-IDM récent (de deux à huit semaines). Elle teste l'ajout d'une dose moyenne d'oméga-3 (1,8 g/j : 930 mg EPA/660 mg DHA) au traitement médicamenteux versus huile de maïs (placebo) sur les événements CV à deux ans. Le critère d'évaluation composite rassemble les IDM, AVC, revascularisations coronaires, hospitalisations pour insuffisance cardiaque et la mortalité totale. L'incidence des nouvelles fibrillations atriales faisait l'objet d'un critère secondaire. Au total, 1 000 patients ont été inclus, dont 30 % de femmes (75 ans d'âge moyen) et 46 % avec un antécédent CV avant l'IDM ayant mené à l'inclusion.

Après deux ans de traitement, il n'existe aucune différence entre les groupes ni en termes de taux d'évènements  (21 % vs 20 % ; RR = 1,07, NS ; soit un taux d'évènements autour de 12 pour 100 patients années), ni de mortalité totale (5 % dans les deux bras). Enfin, l'impact du traitement ne varie pas avec l'âge, le sexe, l'IMC, la présence de diabète ou d'hypertension artérielle, ni selon le taux de triglycérides.

Vers un nouvel essai post-marketing ?

« Déjà en 2019, une vaste étude, VITAL, évaluant l'intérêt d'un apport en vitamine D et omégas-3 (1 g EPA/DHA) avait échoué à mettre en évidence un quelconque bénéfice en prévention CV primaire, rappelle le Pr Gregory Curfman (Harvard, États-Unis) éditeur en chef du JAMA (1,2). Aujourd'hui STRENGTH vient contredire REDUCE-IT, étude pourtant réalisée à la même dose d'oméga-3 (4 g/j). Pourquoi ? Il y a peu de chances que cela soit lié au fait que dans REDUCE-IT l'apport était exclusivement constitué d'EPA versus EPA/DHA dans STRENGTH. C'est probablement plus en rapport avec le comparateur (placebo) choisi dans REDUCE-IT : une huile minérale qui pourrait avoir augmenté le risque CV. Quand pour rappel dans JELIS, étude ouverte, il n'y avait par définition pas de comparateur. Seule une nouvelle étude comparant EPA seule versus huile de maïs pourrait permettre de répondre à la question. Mais la Food and Drug Administration (FDA) ayant agréé l'EPA et ses génériques, il y a fort peu de chances qu'elle soit mise en route par les laboratoires. C'est bien dommage… En attendant, vu les incertitudes, ni les médecins ni les patients ne peuvent parier sur les bénéfices CV des oméga-3. Ceci alors que le marché a déjà atteint les 4 milliards de dollars et devrait encore doubler d'ici 2 025. La FDA, vu la discordance entre STRENGTH et REDUCE-IT, devrait donc imposer la tenue d'une étude post-marketing sur l'EPA à haute dose versus huile de maïs ».

(1) Manson JE et al. NEJM 2019;380:23-32.
(2) Curfman G. JAMA 2020;doi:10.1001/jama.2020.2289
(3) Nicholls SJ et al. JAMA 2020. doi:10.1001/jama.2020.22258
(4) Kalstad AA et al. Circulation 15 nov 2020

Pascale Solère

Source : Le Quotidien du médecin