Maladie rénale chronique

Les cardiologues, acteurs de la néphroprotection

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Publié le 26/05/2023
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L’insuffisance rénale (IR) est une des principales comorbidités des pathologies cardiovasculaires (CV) : elle aggrave leur pronostic et gêne leurs traitements. Possédant dans leur arsenal thérapeutique plusieurs classes médicamenteuses pouvant s’opposer à la dégradation de la fonction rénale, les cardiologues doivent devenir des acteurs de la néphroprotection. Quelles sont les molécules néphroprotectrices à connaître et comment les utiliser ?
Apprendre à faire le diagnostic de la maladie rénale chronique

Apprendre à faire le diagnostic de la maladie rénale chronique
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

La première étape est d’apprendre à faire le diagnostic de la maladie rénale chronique (MRC) définie par deux indicateurs. Le premier est le débit de filtration glomérulaire (DFG) estimé, maîtrisé de longue date par les cardiologues. Le second, à découvrir, est le rapport albuminurie/créatininurie (RAC) : exprimé en mg/g, il est normal au-dessous de 30, moyennement élevé entre 30 et 300 (définissant une micro-albuminurie), et sévèrement élevé au-delà de 300 (reflétant une macro-albumininurie). Dans ce cadre-là, une étape reste à la charge du néphrologue : déterminer l’étiologie exacte de la MRC.

Des néphroprotecteurs à connaître

La deuxième étape est de connaître les médicaments néphroprotecteurs, également efficaces pour prévenir ou traiter l’insuffisance cardiaque (IC). En cas de MRC, les bloqueurs du système rénine angiotensine (inhibiteurs de l’enzyme de conversion [IEC] ou antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II [ARA2]) réduisent de 30 à 39 % le risque d’IR et de 18 % le risque d’événements CV majeurs. Ils ont été récemment rejoints par les inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (iSGLT2) et un antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes (ARM) non hormonal, la finérénone.

Les iSGLT2 ont fait l’objet de deux essais thérapeutiques contrôlés dans les MRC. Dans l’étude DAPA-CKD comportant 68 % de patients diabétiques de type 2 (DT2), la dapagliflozine (10 mg) a diminué de 49 % le critère primaire composé des événements rénaux principaux (diminution d’au moins 50 % du DFG, IR terminale justifiant une dialyse ou une transplantation, mort de cause rénale) et des décès CV. Ces résultats étaient homogènes, que les patients soient ou non diabétiques. Une réduction significative des événements des trois critères secondaires a également été retrouvée : de 44 % pour l’aggravation de l’IR ou les décès de cause rénale, 29 % pour les hospitalisations pour IC et les décès CV, et 31 % pour la mortalité totale.

Dans l’étude EMPA-KIDNEY n’incluant que 46 % de DT2, l’empagliflozine (10 mg) a diminué de 28 % le critère primaire, comprenant la progression de la maladie rénale (IR terminale, ou diminution soutenue du DFG de 10 ml/min/1,73 m² et d’au moins 40 % par rapport à l’état de base, ou décès de cause rénale) et les décès CV, résultats homogènes que les patients soient ou non diabétiques. Parmi les critères secondaires, il a été observé une réduction de 20 % des hospitalisations toutes causes, alors qu’il n’y avait pas de différence significative concernant les hospitalisations pour IC et les décès CV, probablement du fait de l’inclusion d’une majorité de patients non diabétiques. La méta-analyse de ces deux essais confirme qu’il s’agit d’un effet de classe des iSGLT2. Chez les patients ayant une MRC, ceux-ci réduisent le risque d’IR, qu’il y ait ou non un DT2, et d’IC.

Les ARM non hormonaux, actuellement limités à la finérénone, ont une meilleure diffusion tissulaire car ils sont moins lipophiles que les anciens ARM, notamment cardiaques. De plus, ils possèdent des actions anti-fibrosantes et anti-inflammatoires au niveau cardiaque, vasculaire et rénal, tout en ayant moins d’effets secondaires que les anciens ARM dérivés de la progestérone. Comme les iSGLT2, ils ont également un effet anti-albuminurique à court terme, qui serait prédicteur à long terme de leurs bénéfices CV que rénaux.

Les actions protectrices rénales et CV de la finérénone (10 ou 20 mg) ont été testées dans deux essais thérapeutiques contrôlés, chez des patients présentant une MRC et un DT2 : FIDELIO-DKD et FIGARO-DKD. Pour être inclus, les patients DT2 devaient avoir soit un RAC entre 30 et 300 mg/g et un DFG entre 25 et 60 ml/min/1,73 m², soit un RAC entre 300 et 5 000 mg/g et un DFG entre 25 et 75 ml/min/1,73 m² et ne pas présenter d’IC à fraction d’éjection réduite ou une kaliémie supérieure à 4,8 mmol/l. Un critère composite rénal (IR terminale, diminution d’au moins 40 % du DFG par rapport à la valeur de base ou décès de cause rénale) et CV (décès CV, infarctus du myocarde ou AVC non mortels et hospitalisation pour IC) constituaient le critère primaire ou secondaire de ces deux études complémentaires. Dans FIDELIO-DKD, le critère primaire rénal a été réduit de 18 % et le critère secondaire CV de 14 %. En revanche, dans l’étude FIGARO-DKD, le critère primaire CV a été diminué de 13 %, du fait essentiellement d’une baisse de 29 % des hospitalisations pour IC, et le critère secondaire rénal de 13 %. Dans ce dernier essai, une réduction de 32 % du risque d’une première hospitalisation pour IC a été retrouvée chez les patients sans antécédent d’IC. La tolérance de la finérénone s’est révélée excellente, seules les hyperkaliémies étant plus élevées que sous placebo.

La méta-analyse pré-spécifiée de ces deux essais, l’étude FIDELITY, confirme le double bénéfice CV et rénal de la finérénone. En effet, il a été observé une diminution de 14 % du critère CV composite (décès CV, infarctus, AVC non mortels, ou hospitalisation pour IC) et une réduction de 23 % du critère rénal (baisse de plus de 57 % du DFG par rapport à la valeur de base ou mort rénale). Un traitement à l’inclusion par iSGLT2 n’influence pas de manière significative le bénéfice rénal et CV de la finérénone. Comme pour les iSGLT2, le bénéfice rénal est plus important chez les patients les plus albuminuriques, qu’alors que le bénéfice CV existe chez tous les sujets. Une étude est en cours, FINEARTS-HF, pour déterminer la place de la finérénone dans l’IC à fraction d’éjection préservée.

Comment utiliser l’arsenal thérapeutique ?

La troisième étape consiste à utiliser ces médicaments néphroprotecteurs. Les deux essais réalisés récemment avec les iSGLT2, associés aux études antérieures menées exclusivement chez les DT2, permettent d’envisager la place des iSGLT2 en cas de MRC. En plus des IEC ou des ARA2, ils doivent être proposés en présence d’un DT2, chez tous les patients ayant un DFG inférieur à 60 ml ou un RAC supérieur à 30 mg/g. En l’absence de DT2, ils concernent les sujets ayant un RAC supérieur à 200 mg/g quelle que soit la valeur du DFG, ou lorsque le DFG est inférieur à 45 ml, qu’il y ait ou non une albuminurie. L’introduction reste contre-indiquée si le DFG est en dessous de 25 ml/min.

Quant à la finérénone, sa posologie initiale est de 10 mg si le DFG est en dessous de 60 ml/min/1,73 m² et de 20 mg si ce seuil est atteint ou dépassé. Elle est indiquée chez les patients DT2, ayant une MRC de stade 1 à 4 avec albuminurie, si le DFG est d’au moins 25 ml et la kaliémie ne dépasse pas 5 mol/l. Un contrôle de la créatininémie et de la kaliémie doit être réalisé après quatre semaines de traitement. Si l’augmentation du DFG est de moins de 30 % et la kaliémie inférieure à 4,8, la posologie peut être augmentée de 10 à 20 mg. En cas de kaliémie comprise entre 4,8 et 5,5 mmol/l, la dose peut être maintenue à l’identique. Enfin, si la kaliémie est supérieure à 5,5, le traitement est arrêté, puis réintroduit à 10 mg quand la kaliémie revient au seuil maximal de 5.

Outre les bloqueurs du système rénine angiotensine, les cardiologues auront ainsi bientôt le choix entre deux classes thérapeutiques néphroprotectrices, qui diminuent également le risque d’IC. Chez les DT2 dont environ un tiers présenterait une MRC, la finérénone (qui n’interfère pas avec la glycémie) ou les iSGLT2 auront leur place. Chez les non diabétiques, seuls les iSGLT2 pourront être utilisés, notamment en cas de néphropathie hypertensive ou vasculaire et dans quelques glomérulopathies (en particulier la néphropathie à dépôts mésangiaux d’immunoglobulines A). Ces deux traitements pourront être associés.

Il restera nécessaire de vérifier la bonne tolérance de ces médicaments, avec notamment une surveillance biologique du DFG et de la kaliémie.

Ainsi, la prévention de l’IC et de l’IR se confondra dans l’avenir, rappelant que la cardiologie et la néphrologie sont issues de la même branche de la médecine.

(1) Fédération des services de cardiologie, CHU de Toulouse
(2) Service de néphrologie, CHU de Toulouse

Pr Michel Galinier (1) et Dr Aliénor Darde-Galinier (2)

Source : Bilan Spécialiste