Vers un schéma thérapeutique accéléré dans l'insuffisance cardiaque chronique

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Publié le 26/11/2021

Les recommandations 2021 de la Société européenne de cardiologie (ESC) avaient bouleversé la prise en charge de l’insuffisance cardiaque (IC) chronique à fonction systolique altérée, en proposant en première ligne à côté des diurétiques, quatre familles de molécules et en préconisant de les associer d’emblée en débutant par de petites doses. Mais cette préconisation est loin d’être passée dans les mœurs et l’AHA, qui devrait prochainement publier des recommandations similaires, est venue préciser la séquence thérapeutique dans une session conjointe avec l’ESC.

Les molécules utilisées ont prouvé leur capacité à réduire les décès d’origine cardiovasculaire

Les molécules utilisées ont prouvé leur capacité à réduire les décès d’origine cardiovasculaire
Crédit photo : Phanie

Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA II) et les bêtabloquants ont longtemps dominé la prise en charge de l’IC. Cependant, ils étaient souvent exclus du fait d’anomalies biologiques ou d’antécédents cliniques et loin d’atteindre les doses optimales recommandées, en particulier pour les bêtabloquants. Ces dernières années, les prescriptions de sacubitril/valsartan se sont envolées, mais les objectifs sont loin d’être remplis puisque les bêtabloquants ne sont prescrits que chez 72 % des patients, les antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes (ARM) chez 27 % et le sacubitril/valsartan chez 23 %. De plus, « dans la vraie vie », les posologies n’atteignent pas celles utilisées dans les essais cliniques, que ce soit pour les bêtabloquants ou le sacubitril/valsartan rarement prescrit à la dose optimale de 97/103 mg. « Dans certains pays comme les États-Unis, le coût pour les patients des nouvelles molécules est un frein notable, mais il existe d’autres obstacles à prendre en compte, autant du côté de l’adhésion du patient à son traitement que de l’inertie clinique », insiste le Pr Paul Heidenreich (États-Unis).

Pour une séquence en trois étapes

Nous disposons maintenant, y compris chez les non diabétiques, de cinq types de molécules apparentés à quatre classes thérapeutiques : les bêtabloquants, les ARM, les gliflozines, les IEC/ARA II et le sacubitril/valsartan (ces deux derniers étant des inhibiteurs du système rénine angiotensine [SRA]). Ces traitements ont fait la preuve de leur capacité à réduire les décès d’origine cardiovasculaire (CV) et de toute cause, ainsi qu’à diminuer de plus de 25 % les hospitalisations pour IC. Non seulement les récentes recommandations de l’ESC ont enrichi l’arsenal thérapeutique et mis sur le même plan ces quatre classes thérapeutiques, mais elles préconisent aussi de les initier et de les associer en moins d’un mois. Cette stratégie, qui tranche avec le schéma thérapeutique classique, restait à préciser.

La séquence classique, complexe et souvent peu efficace, est composée de cinq étapes : on commence par les IEC ou ARA II, puis on ajoute les bêtabloquants, suivis des ARM, puis du sacubitril/valsartan et enfin les gliflozines, avec à chaque fois une titration jusqu’à atteindre la dose cible. Cette approche nécessite au moins six mois et n’est pas optimale, puisqu’en pratique moins de 5 % des patients bénéficieraient des quatre classes thérapeutiques aux doses recommandées. « Or, ces délais importants à l’instauration de ces différentes molécules aux doses optimales sont responsables d’un certain nombre de décès et d’hospitalisations qui pourraient être évités avec une séquence de prescription raccourcie », rappelle le Pr Milton Packer. Ainsi, l'AHA pourrait proposer un schéma accéléré en trois étapes : une première associant bêtabloquants et inhibiteurs des SGLT2 (iSGLT2 ou gliflozines), suivie par le sacubitril/valsartan (qui devrait devenir l'inhibiteur du SRA de référence), puis des ARM en troisième position. Ces deux dernières étapes peuvent être aisément inversées. Au total, les trois étapes doivent être atteintes en quatre semaines, après lesquelles les différentes molécules seront titrées jusqu’à atteindre les doses cibles.

Une approche bien tolérée

Cependant, une nouvelle approche ne peut être envisagée que si elle repose sur des preuves et répond aux différentes questions qu’elle suscite : le choix de la première molécule influence-t-il le bénéfice thérapeutique global ? Quelles sont les éventuelles implications en termes de tolérance ? L’instauration de ces traitements à des doses initialement faibles réduit-elle l’ampleur de l’efficacité thérapeutique ? « Les études nous fournissent en fait toutes les données nous permettant d’y répondre », assure le cardiologue.

L’effet des bêtabloquants et des IEC n’est pas influencé par l'ordre de prise des molécules, et ne modifie pas la réponse thérapeutique aux ARM, ni au sacubitril/valsartan ou aux gliflozines. L’efficacité de chaque molécule est indépendante du recours aux autres classes et la séquence n’a donc pas d’importance.

La combinaison de ces différentes molécules n’impacte pas non plus la sécurité d’emploi à condition d’être vigilant en particulier avec les diurétiques, et dans certains cas l’association peut même améliorer la tolérance. Ainsi, pour limiter le risque d’hypotension et d’élévation de la créatinine lié aux inhibiteurs du SRA, on diminuera les diurétiques. En revanche, il faudra les augmenter au début d’un traitement par bêtabloquants pour éviter la possible aggravation temporaire de l’IC. Par ailleurs, l’association du sacubitril aux ARA II améliore la tolérance rénale et le sacubitril/valsartan ou les iSGLT2 limitent l’hyperkaliémie liée aux ARM. Le fait de commencer à faible dose ne réduit pas non plus l’efficacité, toutes les études montrant déjà un bénéfice significatif dès la phase de titration pour toutes les molécules. « Le traitement réduit la morbimortalité dans les quatre semaines suivant son initiation. Le temps est essentiel et une couverture large est la priorité avant l'augmentation des doses », commente le Pr Packer.

D’après les communications « Change the Plan, Not the Goal : GDMT in the Real World Population » et « Sequencing of Heart Failure Drugs - Evidence Based or Practice Based ? »

Dr Maia Bovard Gouffrant

Source : Le Quotidien du médecin