Entretien avec le Pr Christian Roques (AFRETh)*

« La médecine thermale est essentiellement une médecine de la douleur »

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Publié le 13/01/2020
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Grâce à une recherche scientifique de qualité, la médecine thermale a trouvé sa place dans des pathologies comme les maladies métaboliques et les affections chroniques liées au stress. Mais, elle peut jouer également un rôle important dans d'autres domaines notamment dans le domaine de la santé publique.

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LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : pouvez-vous nous rappeler ce qu’est la médecine thermale ?

Pr CHRISTIAN ROQUES : C’est la prescription à des fins thérapeutiques de l’eau minérale naturelle et de ses dérivés, boues, vapeurs et gaz thermaux sur les lieux de leur émergence. L’ingestion orale d’eau minérale et l’application directe d’éléments minéraux sur des tissus lésés (peau, arbre respiratoire, portion inférieure du tube digestif, tractus génital féminin) sont reconnues pour leurs effets de type pharmacologiques. L’immersion du corps dans l’eau thermale est efficace par ses effets physiques propres et ceux liés à la chaleur. Il existe aussi un passage transcutané d’éléments minéraux. Une vingtaine d’études ont évalué la dimension thérapeutique complémentaire de l’élément minéral. En rhumatologie par exemple elles ont comparé les bains à l’eau du robinet aux bains en eau minérale ou boues thermales et boues neutres. L’action sur la douleur était généralement plus marquée dans les bras « produits thermo-minéraux ».

La cure thermale fait classiquement référence aux soins hydrothermaux, le noyau dur (bains, douches, vapeurs, boues), qui sont associés à des techniques de rééducation utilisant l’eau minérale sous la conduite d’un kinésithérapeute et de plus en plus à des actions d’éducation.

Quelles sont les grandes réussites du thermalisme ?

Environ 170 essais cliniques, randomisés, contrôlés, ont été publiés dans les revues internationales, tous montrent que la médecine thermale est essentiellement « une médecine de la douleur ». Son impact significatif sur le symptôme « douleur chronique » est reconnu dans de nombreux domaines au premier rang desquels la rhumatologie, la neurologie, la dermatologie (prurit), les affections vasculaires et certaines affections viscérales (pathologies digestives, gynécologiques et urinaires). La diminution de la douleur est en général associée à l’amélioration d’autres paramètres comme les capacités fonctionnelles, notamment en rhumatologie et en neurologie. Dans tous les cas, la qualité de vie est améliorée.

Autre domaine de réussite de la médecine thermale, les maladies métaboliques. S’il n’y a pas encore de preuves nettes dans le diabète, les effets favorables des soins hydrothermaux associés à l’éducation thérapeutique sur le surpoids, l’obésité et le syndrome métabolique sont tout à fait intéressants. Un travail de recherche récemment publié a permis d’identifier les parts respectives des soins thermaux et de l’éducation dans les résultats observés.

Le thermalisme est également une ressource pertinente pour les patients présentant des affections chroniques liées au stress.  Qu’il s’agisse de l’anxiété, du syndrome de fatigue chronique, de la fibromyalgie à expression musculo-squelettique ou de troubles relationnels, la cure thermale a montré, au travers d’un certain nombre de travaux, qu’elle apportait un bénéfice incontestable. L’efficacité de la balnéothérapie est moins étayée dans le burn-out qui reste un terrain d’investigation important pour des études contrôlées. Enfin, la médecine thermale aide à renforcer les systèmes de défense du corps à savoir les barrières cutanées ou respiratoires d’un certain nombre d’affections (psoriasis, dermatite chronique, affections respiratoires). Et en accompagnant le vieillissement, elle contribue à maintenir ou restaurer l’autonomie des personnes âgées.

La France est reconnue pour son dynamisme en termes de médecine thermale et ce grâce à l’Association française pour la recherche thermale (AFRETh) qui appuie la recherche clinique depuis une quinzaine d’années. À ce jour, 18 études (dont 12 essais contrôlés randomisés/ECR) sont achevées ; 6 études dont 4 ECR sont en cours de publication et 12 autres ECR sont en cours de réalisation. Elles concernent un grand nombre de pathologies chroniques notamment la pathologie musculo-squelettique, nutritionnelle, psychosomatique, vasculaires, le vieillissement pour ne citer que les thématiques qui ont été les plus étudiées. Les études françaises de l’AFRETh ont toutes été publiées dans les revues scientifiques internationales de renom (langue anglaise, facteur d’impact) car elles répondent aux critères méthodologiques requis, en particulier la puissance statistique et les exigences de qualité. C’est une belle réussite.

Quels sont les principaux défis à relever ?

La médecine thermale a réussi à mettre en place une recherche exigeante et de qualité. Poursuivre les efforts de recherche en proposant des voies méthodologiques innovantes est essentiel pour améliorer les pratiques et notamment la démarche qualité. Le thermalisme a aussi un rôle important à jouer dans le domaine de la santé publique. C’est l’un des savoir-faire de la communauté thermale dans de nombreux domaines au premier rang desquels la nutrition ou le stress. Le temps de la cure est en effet mis à profit pour diffuser des messages éducatifs de prévention orientés sur la pathologie qui motive la cure et sur les comorbidités associées ou à risque de se manifester. Avec cette approche globale, on rend service au patient en termes de qualité de vie et d’espérance de vie mais aussi à la société sur un plan plus économique et financier. Investir sur l’accompagnement du vieillissement au bénéfice des personnes âgées qui vivent aux alentours des stations thermales dans des régions parfois considérées comme des déserts médicaux est un autre défi à relever à court terme. Et ce, d’autant que depuis un an les établissements thermaux peuvent procéder au recrutement de médecins salariés.

Quels sont les risques qui pourraient peser dans un avenir proche ?

Un éventuel décrochage de la recherche pourrait être fatal au thermalisme par manque de preuves scientifiques. Mais la profession est confiante car un certain nombre d’études cliniques (12 actuellement) est en cours de réalisation en France dont deux études phares sur la lombalgie chronique et la prise en charge du patient porteur d’un diabète de type 2. La démédicalisation qui affecte la médecine générale dans les zones isolées a fait craindre un problème similaire dans le secteur du thermalisme. Or, elle semble moins toucher la profession. Ce constat peut être expliqué par le dynamisme des enseignements de médecine thermale dans certaines facultés de médecine et des perspectives de salariat relativement attractives. Autre risque que l’on voit poindre régulièrement et qui est toujours source d’inquiétudes : la confusion entre médecine thermale et thalassothérapie. Elle nécessite d’être corrigée par une communication adaptée auprès du grand public.

Association Française pour la Recherche Thermale (AFRETh) www.afreth.org
Médecine thermale. www.medecinethermale.fr

* président du Conseil scientifique de l’AFRETh, membre correspondant de l’Académie nationale de médecine
Dr Isabelle Stroebel

Source : Le Quotidien du médecin