Les hypoglycémies à travers le miroir patient

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Publié le 19/05/2023
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Pour les diabétiques, la réduction des épisodes glycémiques est un point clef de leur qualité de vie et donc de la prise en charge de leur diabète. Mais l’hypoglycémie n’est pas qu’un chiffre : il est impératif d’explorer la relation entre une donnée biologique et les données rapportées par le patient lui-même. Plusieurs études ont exploré ce sujet.
Le point de vue du médecin n’est pas celui du patient

Le point de vue du médecin n’est pas celui du patient
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

On sait que de nombreux épisodes hypoglycémiques sont asymptomatiques, et que les diabétiques ne les ressentent pas de la même manière. Aussi, de nombreuses études utilisent désormais le critère de « conscience normale » ou de « conscience altérée » de l’hypoglycémie, élaboré à partir de divers scores sur les questionnaires Clarke modifié, Gold ou Pedersen-Bjergaard. Les patients ayant une conscience altérée de l’hypoglycémie (IAH pour impaired awareness of hypoglycaemia) sont beaucoup plus à risque de souffrir d’hypoglycémies graves que ceux ayant une conscience normale (NAH pour normal awareness of hypoglycaemia).

Le consortium HypoResolve a lancé plusieurs travaux, dont une métaanalyse des données d’évènements hypoglycémiques sur 60 000 patients de 98 essais cliniques, avec pour but de renforcer les connaissances en ce domaine. Elle souligne que l’hypoglycémie diagnostiquée par la mesure continue du glucose (MCG) diffère sensiblement de celle signalée par le patient (PRH pour patient reported hypoglycemia) : « 38 % des hypoglycémies détectées par MCG ne le sont pas par les patients. Concernant celles sous 0,54 g/l, 38 % des diabétiques de type 1 [DT1] les repèrent, et seulement 18 % des diabétiques de type 2 [DT2] », signale le Dr Pratik Choudhary (Londres). Les rapports de MCG, à eux seuls, ne permettent donc pas de savoir si les patients ont eu conscience ou non de leur hypoglycémie. « Ces résultats pourraient influencer la façon dont nous éduquons les personnes atteintes de diabète sur les effets de l’hypoglycémie. L’hypoglycémie détectée par le capteur et celle signalée par le patient doivent être différenciées, afin de prendre en charge correctement les événements à venir », souligne le Dr Choudhary (Londres).

Améliorer la prise de conscience

HypoMetrics est une application développée pour mieux comprendre ces évènements du point de vue du patient. Dans ce cadre, une étude observationnelle portant sur 91 DT1 (70 MCG vs. 21 avec autosurveillance de la glycémie capillaire et MCG en aveugle) a évalué l’effet du type de surveillance, la MCG ayant fait la preuve de sa plus grande sensibilité à la détection des hypoglycémies que l’autosurveillance par glycémie capillaire (1).

Le temps dans la cible (TIR pour time in range) était identique dans les deux groupes, de même que le temps passé en dessous de la cible. Il n’y avait pas de différence non plus dans la durée ou l’importance des chutes en dessous de 0,7 ou de 0,54 g/l.

Le pourcentage de PRH était cependant plus élevé dans le groupe MCG durant la journée (2,9 vs. 1,9 épisodes/semaine, p = 0,039), sans différence pendant le sommeil. Dans cette étude, l’exposition à l’hypoglycémie est donc identique quel que soit le mode de surveillance, mais la MCG améliore la prise de conscience des événements et raccourcit les événements sous 0,4 g/l pendant l’éveil.

Une autre étude, destinée à comparer les insulines glargine 300 UI vs. degludec 100 a aussi confirmé que la MCG repère 7,8 hypoglycémies sous 0,7 g/l par semaine, vs. 2,5 pour l’autocontrôle au doigt (2).

Quelles conséquences cliniques ?

Autre question majeure, celle des conséquences de l’hypoglycémie sur le plan clinique, en particulier sur le risque cardiovasculaire ou inflammatoire, ou les troubles cognitifs. Dans une étude danoise, l’hypoglycémie était définie par une glycémie comprise entre 0,5 et 0,7 g/l pendant au moins 15 minutes. Selon la MCG, les patients DT1 faisaient de cinq à sept hypoglycémies par semaine, dont une à deux symptomatiques ; 40 % d’entre eux en avaient une conscience altérée : chez ces patients, 80 % des évènements étaient asymptomatiques (3).

D’après des données très préliminaires, il semble que les conséquences sur la fonction cognitive, l’humeur globale et la qualité du sommeil soit bien plus important quand l’épisode est symptomatique que lorsqu’il est asymptomatique et repéré uniquement sur le MCG et ce, indépendamment du taux de glycémie, la détection des hypoglycémies asymptomatiques n’ayant que peu d’impact sur le ressenti du patient.

Sur le plan cardiovasculaire, l’hypoglycémie induite par l’insuline chez le DT1 prolonge la repolarisation cardiaque, pendant une période de récupération de 60 minutes, indépendamment du retour à la normo- ou à l’hyperglycémie (4). « Cela souligne la vulnérabilité aux arythmies cardiaques graves, et potentiellement mortelles, au-delà d’un événement hypoglycémique et indépendamment de la récupération glycémique », insiste le Dr Choudhary.

Exergue : Les conséquences pourraient être plus importantes quand l’épisode est symptomatique

Session « Resolving hypoglycemia » 

(1) P Divilly et al. ATTD 2023, P 688

(2) T Battelino et al. Diabetes Obes Metab. 2023 Feb;25(2):545-55

(3) MM Henriksen et al. Diabetologia 2021 Apr;64(4):903-13

(4) CR Andreasen et al> Diabetes Obes Metab. 2023 Jun;25(6):1566-75

Dr Maia Bovard-Gouffrant

Source : Le Quotidien du médecin