L’école ne peut pas tout

Multiples déterminismes sur les élèves

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Publié le 17/02/2023
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Entre la volonté affichée de faire de l’école un vecteur d’amélioration de l’alimentation et l’alimentation réelle des élèves, il peut exister un fossé, qui s’explique en partie par les différences socioculturelles.
A la cantine, les légumes finissent souvent à la poubelle

A la cantine, les légumes finissent souvent à la poubelle
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

En matière de nutrition, les inégalités sociales sont assez fortes : la prévalence du surpoids et de l’obésité est bien plus élevée dans les milieux défavorisés, notamment en raison de consommations alimentaires plus riches en produits gras, sucrés et ultra-transformés, mais aussi en raison d’un rapport à la santé très différent comparativement aux milieux plus favorisés. « Dans les milieux défavorisés, le rapport à la santé est surtout curatif. Tant qu’il n’y a pas de maladie diagnostiquée, ces personnes ne voient pas forcément l’intérêt d’y faire attention. Les politiques d’éducation à la santé leur échappent car elles sont trop éloignées de leur vision. Le rapport aux enfants est aussi très différent : c’est une période qui est considérée comme devant être protégée des duretés de la vie (notamment celles connues par les parents), d’où l’idée de leur faire avant tout plaisir pour qu’ils ne manquent de rien. Or, l’alimentation est un domaine où il leur est facile de faire plaisir (plus que dans d’autres domaines plus coûteux) et l’industrie agro-alimentaire, qui l’a très bien compris, joue sur ce penchant en mettant en avant la notion de plaisir alimentaire », explique Aurélie Maurice, Maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation (Université Sorbonne Paris Nord - UFR SMBH - laboratoire LEPS Éducation et Promotion de la Santé) et directrice de l’ouvrage collectif « Quand les cantines se mettent à table » (éd. Quae).

Lorsque les goûters à l’école sont fournis par les familles, ce que mangent les enfants est d’ailleurs un bon indicateur de leur milieu social, avec une majorité de produits ultra-transformés chez les plus défavorisés (chips, barres chocolatées…), versus des fruits et des produits plus sains pour les autres.

Un moindre accès à la cantine

Par rapport au reste de l’Europe et du monde, la France se singularise par le fait qu’il est obligatoire de proposer ce service public de la cantine, même s’il n’est pas obligatoire d’y aller. Pour autant, il existe là encore de grandes inégalités dans les populations d’élèves qui profitent réellement de ce service public. Contrairement à une idée reçue, les familles les plus défavorisées sont celles qui y inscrivent le moins leur enfant. Cela s’explique de deux manières : bien souvent, les femmes ne travaillent pas et sont donc disponibles le midi et, d’autre part, ces familles, notamment du fait d’un faible niveau de littératie, peinent à remplir les dossiers administratifs pour bénéficier de tarifs adaptés à leurs revenus. L’écart de fréquentation est le plus grand chez les élèves les plus âgés : au collège et au lycée, les élèves de milieux défavorisés sont peu présents à la cantine.

Il existe aussi de grandes disparités concernant la qualité organoleptique des repas proposés, les plats pouvant être préparés sur place ou dans une cuisine centrale, puis livrés en liaison froide ou chaude. Il faut aussi noter que les menus affichés par la cantine ne permettent pas de renseigner sur ce que les élèves mangent réellement. « Certains ne mangent que du pain ou s’échangent des plats, pour finalement ne manger que des desserts par exemple. Et les légumes servis finissent assez souvent dans la poubelle…, prévient Aurélie Maurice. La socialisation primaire (ce que les parents transmettent) a un poids conséquent sur les préférences alimentaires des enfants, cependant, en grandissant, le groupe de pairs a une influence très importante sur les choix alimentaires. Les jeunes, notamment ceux issus des milieux populaires, affichent un goût plus prononcé pour une nourriture de type fast-food : certaines marques ont réussi à être associées à la jeunesse et donc à participer au processus de construction de l’identité des jeunes. » Pour toutes ces raisons, se focaliser sur l’école pour être vectrice d’amélioration de l’alimentation des élèves ne semble pas suffisant.

Une question d’environnement

Pour être plus efficace, il faudrait associer, à l’éducation à l’alimentation, une action sur l’environnement : l’offre alimentaire dans le quartier (magasins ou restaurants), ou encore, les publicités auxquelles les élèves sont exposés (à la télévision ou sur les réseaux sociaux). « Les ‘cités éducatives’ constituent un projet intéressant, qui inclut l’école dans un réseau plus large d’acteurs tels que les entreprises, les équipements sportifs, les espaces sociaux, les milieux culturels, les universités, les commerçants, etc. Il existe à ce jour environ 200 cités labellisées. Ce n’est qu’un début, mais c’est bien en créant cette alliance éducative que l’on peut espérer promouvoir l’éducation à l’alimentation pour tous les élèves », conclut Aurélie Maurice.

Exergue : « Il faut créer une alliance éducative »

Dr Nathalie Szapiro

Source : Nutrition