Pr Ariane Sultan : « Chez la personne présentant un diabète de type 1, l'annonce du diagnostic est un moment crucial pour la prévention des troubles du comportement alimentaire »

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Publié le 01/03/2019
Ariane Sultan

Ariane Sultan
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La littérature sur les liens entre le diabète de type 1 et les troubles du comportement alimentaire (TCA) est assez pauvre et rendue complexe par l'évolution en 2013 de leur classification. Dans le DSM-5, trois critères sont pris en compte pour le diagnostic de TCA : la restriction alimentaire avec perte de poids, la peur de prendre du poids et l'altération de la perception du poids et de son corps. « L'aménorrhée a disparu et la classification en sous-types est plus précise », indique la Pr Ariane Sultan, diabétologue endocrinologue au CHU de Montpellier. À côté des troubles de l'alimentation, les TCA regroupent l'anorexie mentale, la boulimie, l'hyperphagie boulimique, les autres TCA spécifiés et non spécifiés. Classiquement, anorexie, boulimie et TCA non spécifiés sont décrits chez les personnes avec un DT1. Ainsi, dans ses recommandations de 2010 sur l'anorexie mentale, la Haute Autorité de santé considère les personnes avec DT1 comme des sujets à risque justifiant d’un dépistage ciblé.

Des études basées sur les critères du DSM-4 montrent que comparativement à la population générale, l'anorexie n'est pas plus fréquente, contrairement à la boulimie et aux troubles non spécifiés, dont l'incidence est multipliée par un facteur 2 à 3.

De 10 à 40 % de diaboulimie

« Les personnes avec DT1 présentent aussi volontiers des comportements pathologiques en lien avec l'alimentation et le contrôle du poids, à type de régime restrictif, d'activité physique excessive, de resucrage en excès après hypoglycémies et plus spécifiquement de diaboulimie, néologisme désignant les manipulations des doses d'insuline dans un objectif de contrôle du poids », précise la Pr Sultan. Les personnes avec DT1 souffrant de ce trouble, non répertorié dans le DSM-5, oublient volontairement certaines injections d'insuline, ou utilisent des doses insuffisantes pour maintenir une certaine hyperglycémie, qui favorise la perte de poids. La diaboulimie concernerait de 10 à 40 % des femmes diabétiques à partir de la puberté, avec un impact délétère sur la morbimortalité : augmentation de l'HbA1c, plus grande variabilité glycémique, hypoglycémies plus sévères, risque accru d'acidocétose, d'hospitalisations et de complications microvasculaires, notamment de rétinopathies, et augmentation du risque de décès par suicide.

Au global, on estime que de 30 à 40 % des adolescentes DT1 présenteraient des troubles pathologiques en lien avec l'alimentation, qu'il faut savoir évoquer car un diagnostic précoce est un élément essentiel pour leur prise en charge. Obsession du poids et dysmorphophobie, traits communs à tous ces troubles, sont bien sûr évocateurs. Mais il faut aussi penser à un trouble restrictif en cas de perte de poids rapide, de personnalité rigide, dans le contrôle, en présence d'anxiété, d'aménorrhée ou de dénutrition. Une forme boulimique est à évoquer face à une variation pondérale rapide, des troubles du cycle menstruel, d'hypertrophie parotidienne, ou encore une hypokaliémie ou une hypochlorie, conséquences des vomissements répétés. Certains signes sont moins classiques mais doivent aussi alerter : suivi médical aléatoire, refus de pesée ou refus de voir le poids, régime végétarien ou végétalien.

Le questionnaire SCOFF-F

Le diagnostic est difficile et le praticien peut s'aider du questionnaire SCOFF-F qui comporte 5 questions non spécifiques et deux questions subsidiaires visant à dépister spécifiquement les TCA associés au DT1 : « oubliez-vous ou sous-estimez-vous assez souvent les doses d'insuline ? » et « avez-vous une peur panique des hypoglycémies et/ou resucrez-vous de façon excessive ? »

La prise en charge de ces troubles doit être la plus précoce possible, multidisciplinaire associant une équipe experte en TCA (psychiatre et psychologues experts, nutritionniste) et une équipe diabétologique.

« L'annonce du diagnostic du diabète est un moment crucial, qui va conditionner l'acceptation de la maladie, insiste la Pr Sultan. Les conseils restrictifs sont à bannir, ils n'ont plus de place avec les analogues de l'insuline aujourd'hui disponibles. L'insulinothérapie s'adapte à l'alimentation et non l'inverse et il faut être le plus souple possible. Chez les personnes présentant un DT1 et un TCA, l'insulinothérapie fonctionnelle n'est pas adaptée car elle renforce le contrôle permanent. Nous ne disposons que de peu de données sur l'intérêt éventuel des pompes à insuline, mais elles pourraient être utiles car elles corrigent l'hyperglycémie et réduisent le risque d'acidocétose ».

À côté du DT1, l'association entre diabète de type 2 et TCA, dont on ne connaît pas le primum movens, commence elle aussi à être explorée. « Il s'agit alors plutôt de troubles à type d'hyperphagie boulimique, avec prise alimentaire nocturne, rarement d'une anorexie, indique la Pr Ariane Sultan. L'impact de ces troubles sur l'équilibre glycémique est pour l'instant mal précisé, les résultats des études sont divergents ».

Entretien avec la Pr Ariane Sultan, service d'endocrinologie-diabétologie-nutrition, CHU, Montpellier

Dr Isabelle Hoppenot

Source : lequotidiendumedecin.fr