Du concept à la pratique

1 000 jours pour améliorer la santé future

Publié le 30/06/2020
Article réservé aux abonnés
Surnutrition, polluants, stress : les évènements précoces du développement du fœtus et du tout-petit influent sa santé future. Ils représentent désormais un nouvel axe de prévention des maladies non-transmissibles de l'adulte. Mais la mise en pratique de la prévention n'est pas si simple.
Des modifications épigénétiques durables qui peuvent se transmettre de génération en génération

Des modifications épigénétiques durables qui peuvent se transmettre de génération en génération
Crédit photo : phanie

Les « 1 000 premiers jours » correspondent à la période qui va de la conception aux deux ans de l’enfant. Au cours de cette période, l’enfant est particulièrement vulnérable non seulement en raison de sa fragilité naturelle et sa dépendance aux adultes mais aussi parce que l’environnement qui l’entoure, et parfois l’agresse, va influencer sa santé future.

Initialement, ce concept des mille jours a été développé par l’Unicef avec pour objectif de lutter contre la malnutrition dans les pays en voie de développement mais, rapidement, ce il a été étendu aux pays développés où sévissent les maladies non transmissibles (MNT).

La principale cause de décès dans le monde

Les MNT sont des maladies chroniques telles que les maladies cardiovasculaires, l'obésité, le diabète de type 2, le cancer, les maladies dégénératives et mentales, et les allergies, principalement attribuables à des facteurs environnementaux. Elles ont une importance majeure en termes de santé publique dans les pays développés mais aussi, maintenant, dans les pays en voie de développement et ont été ciblées comme une menace majeure par l’organisation mondiale de la santé. Elles sont les principales causes de décès dans le monde, représentant 2/3 de la totalité des décès annuels.

Si la tendance actuelle se maintient, on prévoit que, d'ici à 2030, les MNT seront responsables de 80 % des maladies. Les coûts des diagnostics et des traitements deviendront rapidement inabordables, il est donc urgent de mettre en œuvre des stratégies de prévention efficaces.

Jusqu'à présent, les efforts de prévention ont surtout porté sur quatre facteurs de risque, concernant principalement les adultes : la mauvaise alimentation, l'inactivité physique, la consommation de tabac et d'alcool.

Une fenêtre critique de vulnérabilité à l’environnement

Il est maintenant largement admis que la période périnatale et celle de la petite enfance représentent une fenêtre critique de vulnérabilité à l'environnement, parce que c’est la période au cours de laquelle le nourrisson et l’enfant se construisent. De nombreuses études épidémiologiques et expérimentales ont mis en évidence une relation entre des événements précoces du développement et les maladies non transmissibles à l’âge adulte. On parle d’origine développementale des maladies ou de phénomène de programmation.

La dénutrition chez la mère mais aussi la surnutrition/malnutrition vont augmenter chez le futur enfant le risque d’obésité, de diabète et de maladies cardiovasculaires à l'âge adulte. L’exposition fœtale ou en début de vie à des toxiques de l’environnement, allant des métaux lourds à des produits chimiques perturbant le système endocrinien (perturbateurs endocriniens), agit sur le métabolisme des adultes, les fonctions du système immunitaire et du système neurologique, et la fonction reproductive. Grâce aux progrès des neurosciences, il a également été possible de montrer des liens entre le stress psychologique in utero et dans la petite enfance et la survenue ultérieure de maladies.

Une programmation pour la vie entière

L'exposition à des conditions environnementales défavorables au cours du développement in utero et durant la petite enfance déclenche des adaptations qui auront des conséquences à court et/ou long terme. Ces phénomènes sont programmés au cours de cette période pour toute la durée de la vie. Les mécanismes qui expliquent ces modifications sont encore mal compris et font l’objet de nombreux travaux de recherche. Ils semblent impliquer une programmation précoce au cours de ces « 1 000 premiers jours ». Pendant cette période, l’expression du patrimoine génétique est extrêmement influencée par l’environnement. Ces modifications ne touchent pas directement les gènes eux-mêmes mais les éléments qui contrôlent leur expression, c’est l’épigénétique. Les facteurs épigénétiques contrôlent l’expression de l’ADN qui va donner les protéines qui régissent le fonctionnement du corps humain.

Un nombre croissant de preuves suggère que l'exposition in utero à des polluants environnementaux, une mauvaise alimentation ou le stress peuvent induire des changements épigénétiques qui affectent durablement l’expression des gènes qui sont essentiels à la fois pour le développement fœtal mais aussi pour les fonctions physiologiques de la vie future. De la même manière que les gènes nous sont transmis par nos parents, ces modifications épigénétiques durables peuvent se transmettre ensuite de génération en génération.

Il est temps d’agir !

Le temps n’est plus au constat. Nous savons maintenant que des actions durant cette période peuvent être capitales dans la prévention de ces pathologies. Il existe des moyens simples d’améliorer l’environnement de la mère et de l’enfant dans le but de prévenir les maladies de l’adulte. Des recommandations ont été validées par les grands organismes nationaux et les sociétés savantes. Elles concernent les précautions environnementales pour protéger la mère et l’enfant, l’alimentation, de dépistages systématiques des situations à risques psychosociales, mais aussi la prise en charge du stress et de la douleur, et la prévention de l’obésité. Pour ces facteurs de l’environnement dont l’impact est reconnu, le réel enjeu est clairement de prioriser les actions et d’en faire la promotion. C’est néanmoins un défi qui nécessite, pour être opérationnel, la complémentarité d’expertises tant dans le domaine médical que dans les sciences humaines et sociales pour adapter les politiques de soins et de prévention.

CHRU de Lille

Pr Philippe Deruelle

Source : lequotidiendumedecin.fr