Chez la femme enceinte

Lutter contre l'HTA gravidique

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Publié le 13/05/2022
Pour la première fois, une étude randomisée, menée dans l'hypertension (HTA) gravidique modérée, a testé la normalisation systématique des pressions artérielles systoliques (PAS). Présentés récemment en session plénière du congrès de l’American College of Cardiology (ACC) et publiés dans le New England Journal of Medecine (1-3), les résultats sont sans appel…
Tous les désordres hypertensifs de la grossesse majorent le risque de complications cardiovasculaires maternelles sévères

Tous les désordres hypertensifs de la grossesse majorent le risque de complications cardiovasculaires maternelles sévères
Crédit photo : phanie

L’étude américaine multicentrique (61 sites), CHAP (Chronic Hypertension and Pregnancy), a inclus 2 408 femmes enceintes (un seul fœtus), présentant à l'inclusion une HTA gravidique à moins de 23 semaines, entre 2015 et 2021. Les femmes développant une HTA gravidique modérée ont été traitées, ou pas, par un des antihypertenseurs recommandés en première ligne durant la grossesse. Le critère primaire, évalué en fin de grossesse, associait prééclampsies sévères, déclenchements précoces (avant la semaine 33) de l'accouchement pour motif médical, décollements placentaires, décès fœtaux ou néonataux. 

Moins de prééclampsies et de prématurité

La normalisation tensionnelle améliore significativement le pronostic maternel et fœtal. Le critère primaire de morbimortalité materno-fœtale est réduit de 18 % (30 % dans le bras traité versus 37 % en absence de traitement, RR ajusté = 0,82 ; 0,74-0,92, p < 0,001). Ce bénéfice est essentiellement porté par une réduction significative des prééclampsies (24,4 % versus 31,1 %, RRa = 0,79) et de la prématurité (27,5 % versus 31,4 %, RR a = 0,87). Les autres critères, bien moins fréquents, ne sont pas significativement améliorés, possiblement par manque de puissance. Les hypotrophies sont comparables dans les deux groupes (11,2 % versus 10,4 %).

« La mise sous traitement antihypertenseur des femmes présentant une HTA gravidique modérée – PAS entre 140 et 160 mmHg – s'est révélée non seulement bénéfique pour les mères mais aussi pour leurs enfants. Cette prise en charge est d'ailleurs plutôt coût efficace. Il suffit de traiter 14 femmes (14,7 exactement) pour empêcher un évènement », résume le Pr Alan Tita (Birmingham, États-Unis), qui en tant qu’investigateur principal a présenté l’étude CHAP au congrès de l’ACC. Ainsi, contrairement aux idées reçues, le traitement antihypertenseur n'a pas d'impact négatif sur le fœtus, du moins à la naissance. Bien au contraire, la normalisation tensionnelle des femmes enceintes s'avère être une stratégie gagnante. 

Vers un changement des pratiques ?

« On sait depuis fort longtemps que souffrir d'HTA durant la grossesse n'est pas bon, précise le Pr Jacques Blacher, CHU Hôtel-Dieu, Université Paris Cité (Paris). Tous les désordres hypertensifs de la grossesse, avec élévation des PAS, majorent le risque de complications cardiovasculaires (CV) maternelles sévères (accident vasculaire cérébral [AVC], infarctus du myocarde [IDM]) et d'éclampsies. On craignait néanmoins que normaliser systématiquement les tensions ne soit délétère pour le fœtus, notamment en termes d'hypotrophie. De plus, dans les HTA gravidiques modérées, nous n'avions jusqu'ici que peu de preuves concernant le rapport bénéfice/risque favorable d’un traitement antihypertenseur ». La balance bénéfice maternel/risque fœtal était difficile à apprécier. En pratique clinique, les recommandations des Sociétés savantes préconisaient de ne pas interrompre le traitement d'une femme déjà hypertendue avant la grossesse (mais d’utiliser des antihypertenseurs compatibles), de traiter les HTA gravidiques sévères (PAS supérieures à 160 mm Hg) et, au cas par cas, les formes modérées (PAS entre 140 et 160 mmHg) . « En pratique clinique, nous traitions donc uniquement les HTA gravidiques modérées de femmes à haut risque CV, présentant d'autres facteurs de risque. Dans les HTA modérées, gynécologues et cardiologues naviguaient donc à vue. Aujourd'hui, la messe est dite. L'étude CHAP, très probante, va très probablement modifier radicalement les recommandations et nos pratiques », commente le Pr Blacher. 

Un surrisque d'HTA après accouchement

Au moment de la parution de l’étude CHAP, Santé publique France publiait de son côté les résultats d'une vaste étude investiguant l'impact des désordres hypertensifs en cours de grossesse sur le devenir des mères (4). « Cette analyse d'une cohorte française de plus de 2,6 millions de femmes enceintes (29 ans d'âge moyen), regroupant toutes les grossesses survenues entre 2010 et 2018, confirme que l'HTA gravidique majore le risque de prééclampsie, ajoute le Pr Blacher. De façon plus inattendue, développer une HTA gravidique, même modérée, augmente aussi significativement le risque de survenue d’une HTA dans les trois ans ». On savait déjà que les HTA gravidiques étaient associées, dans les 20 à 30 ans suivant l'accouchement, à une majoration de l’HTA, des IDM et AVC. Cette étude montre aujourd'hui qu’elles sont aussi un marqueur d'HTA précoce. Le risque de développer une HTA dans les trois ans après l'accouchement est multiplié par 6 (RRa = 6,5 ; 9-6,2), dès un seuil de PAS gravidique de 140 mmHg. « Pour la santé des mères et des enfants à naître, il est donc grand temps de prendre en compte ces HTA gravidiques même modérées, qui s'avèrent être un marqueur précoce de risque CV. Il faut traiter les mères durant la grossesse et les suivre attentivement après », conclut le Pr Blacher.

D'après un entretien avec le Pr Jacques Blacher, CHU Hôtel-Dieu, Université Paris Cité (Paris) 
(1) Tita AT et al. ACC, 2 avril 2022
(2) Tita AT et al. NEJM 2022; DOI: 10.1056/NEJMoa2201295
(3) Greene MF et al. NEJM 2022 ; DOI: 10.1056/NEJMe2203388
(4) Lailler G et al. BEH, 2022, n°7, p132-140

Pascale Solere

Source : lequotidiendumedecin.fr